L'HUMANITE

La Flamme verte, ou comment sortir d’un labyrinthe persan

Le second film inédit du poète et plasticien Mohammad Reza Aslani explore divers épisodes de l’histoire iranienne narrés par une femme captive à son époux défunt. Une virevoltan­te traversée des apparences dont la beauté plastique et la déconstruc­tion narr

- La Flamme verte, de Mohammad Reza Aslani, Iran, 2008, 1 h 50 VINCENT OSTRIA

CINÉMA

Le cinéma n’est qu’une facette de la créativité de Mohammad Reza Aslani, artiste aujourd’hui âgé de 80 ans, qui a brillé dans diverses discipline­s. Elles sont toutes réunies dans la Flamme verte (2008), son second long métrage, qui sort après la découverte en 2021 de son splendide l’échiquier du vent, inédit de 1976. Par rapport à cette première oeuvre labyrinthi­que, la Flamme verte est encore plus complexe. Le point de départ de ce récit fractionné et déconstrui­t, transposit­ion poétique de la miniature persane, mêlant les époques et les registres, est une fable intitulée Sangu-e Sabour, dont s’inspira au même moment le romancier et cinéaste afghan Atiq Rahimi, avec son roman Syngué Sabour. Pierre de patience (prix Goncourt 2008), qu’il adapta ensuite au cinéma. Mais aucun rapport entre le traitement du sujet par l’auteur afghan et par le poète iranien.

UNE SATIRE DU PRÉSENT

La « pierre de patience » est une métaphore du confident, mais un confident inerte. Dans la Flamme verte, une femme, Nardaneh, est enfermée dans un château fort sans issue, près de la ville historique de Kerman ; elle se retrouve mariée à un homme mort gisant dans une pièce. Pour s’en libérer, elle doit lui redonner la vie en lui lisant sept histoires. Lesquelles sont tour à tour mises en scène, mais restent fragmentai­res et relativeme­nt ésotérique­s pour un non-iranien. Intrigues de palais à gogo et conflits familiaux se succèdent à différente­s époques, évoquant parfois un péplum oriental aussi gracieux que dépouillé.

Mohammad Reza Aslani explore les origines de l’iran, « qui est jalonné de trahisons ayant entraîné la destructio­n de chaque empire et de chaque dynastie ». Fable intemporel­le, car si le décorum et le contexte sont plus largement féodaux que contempora­ins, le film recèle en filigrane une satire du présent. L’essentiel pour le spectateur occidental non initié réside dans la sophistica­tion du filmage et de la mise en scène, dans les costumes et lumières raffinés. Les extérieurs furent tournés dans l’imposante forteresse de Rayen, proche de Kerman. Les intérieurs, d’une grande pureté architectu­rale, sont l’écrin idéal de tableaux archaïques et colorés, violents et agités, rappelant l’art visuel de l’arménien Paradjanov, autre poète inclassabl­e de la pellicule, qui reconstitu­a également des contes et épisodes orientaux sur un mode pictural. Bien qu’adoptant un filmage moins statique et frontal que celui-ci, Aslani fait revivre une civilisati­on enfouie, à l’instar de Nardaneh qui ressuscite son époux par la magie de sa voix. Cette jeune femme est en même temps la victime d’une intrigue tordue, ourdie par sa servante, achetée à des saltimbanq­ues de passage.

Ce film met en avant la féminité sous toutes ses formes, qu’il soit question d’une reine, prisonnièr­e ou domestique. Pour Gita Aslani Shahrestan­i, fille du cinéaste, ce dernier « prophétise l’importance du rôle des femmes pour échapper à la répression qui sévit en Iran ». Le sous-texte politique de ces fables gigognes façon Mille et Une Nuits fait de l’oeuvre d’aslani un contrepois­on idéal à l’obscuranti­sme du régime islamique.

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2008 GITA ASLANI SHAHRESTAN­I. TOUS DROITS RÉSERVÉS Ce long métrage met en avant la féminité sous toutes ses formes, qu’il soit question d’une reine, prisonnièr­e ou domestique.

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