L'HUMANITE

Emmanuel Terray, penser une anthropolo­gie politique

L’ancien élève de Louis Althusser et proche de Georges Balandier, intellectu­el de conviction communiste, engagé aux côtés des travailleu­rs immigrés, est mort à l’âge de 89 ans.

- PIERRE CHAILLAN

L’anthropolo­gue et ethnologue Emmanuel Terray a marqué les sciences humaines. Né en 1935, l’élève à l’école normale supérieure, notamment de Louis Althusser, agrégé de philosophi­e, s’oriente rapidement vers l’anthropolo­gie après avoir découvert les Structures élémentair­es de la parenté, de Claude Lévi-strauss. Autre rencontre décisive, il se lie avec Georges Balandier, dont « l’anthropolo­gie dynamique » l’enthousias­me. S’appuyant sur ces bases théoriques, il cherche à constituer une anthropolo­gie politique qui puisse s’inscrire dans le projet marxiste de Louis Althusser.

Nommé assistant en 1964 à l’université des lettres d’abidjan en lien avec le ministère de la Coopératio­n, il se consacre à l’ethno-sociologie des Didas de Côte d’ivoire, son premier terrain d’ethnologue. Très vite, il étudie le royaume abron du Gyaman (Afrique de l’ouest). Le chercheur devient doyen de l’université d’abidjan. Mais, au goût du pouvoir ivoirien, il affiche trop ses sympathies envers les grévistes de Mai 68. Il doit alors quitter le pays et revenir à Paris. Emmanuel Terray intègre la nouvelle équipe de l’université de PARIS-VIII Vincennes, où il mène de front engagement­s politiques et parcours universita­ire. Rejoignant les groupes maoïstes, il milite ainsi au PSU, qu’il quitte rapidement.

L’ETHNOLOGUE DIRIGE LE CENTRE D’ÉTUDES AFRICAINES

Il soutient son doctorat d’état dirigé par Balandier avec une thèse sur le royaume abron et est élu directeur d’étude à l’école des hautes études en sciences sociales (Ehess). Entre 1984 et 1991, l’ethnologue dirige le Centre d’études africaines EHESS-CNRS. Il passe ensuite trois années à Berlin, en qualité de chercheur, puis retrouve à nouveau l’ehess, au sein du Centre d’anthropolo­gie des mondes contempora­ins. Outre ses travaux de recherche et ses parutions dans de nombreuses revues, il signe une série d’essais, dont la Politique dans la caverne (Seuil, 1990), le Troisième Jour du communisme (Actes Sud, 1991), Immigratio­n : fantasmes et réalités, avec Claire Rodier (la Découverte, 2008), Penser à droite (Galilée, 2012), Femmes inspirées, femmes inspirante­s (Odile Jacob, 2023).

Dans Penser à droite, il développe une analyse très singulière sur notre rapport à « l’ordre existant » et « l’hégémonie droitière» qui donnera lieu à un entretien publié dans l’humanité du 1er février 2013. L’anthropolo­gue s’y confronte non seulement à sa propre histoire, à sa formation philosophi­que et politique, mais aussi aux enjeux politiques et sociaux de nos sociétés, en mettant l’accent sur la situation des travailleu­rs sans papiers. Depuis plus d’une décennie, l’intellectu­el de conviction communiste est d’ailleurs très engagé aux côtés de la lutte des salariés immigrés pour leurs droits. En solidarité et face à une dérive inhumaine de leur condition, il observe une longue grève de la faim à l’été 1998. Dans l’humanité, Emmanuel Terray se dit « persuadé d’une renaissanc­e de l’espérance » du communisme, en tant que « volonté d’une société juste, fraternell­e et égalitaire ». Très affaibli dans la dernière période, hospitalis­é, il a reçu tout récemment la visite des associatio­ns de travailleu­rs migrants, comme l’indique Mouhieddin­e Cherbib, figure de la Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives, qui salue sa mémoire dans son message de condoléanc­es.

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HANNAH ASSOULINE/OPALE.PHOTO Le chercheur en août 2019.

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