L'HUMANITE

« Pour rénover les bâtiments, il faut un financemen­t pérenne et de long terme »

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CAMILLE BAUER

Face à la lenteur du chantier de la rénovation thermique et pour permettre son réel décollage,

Jacques Baudrier, l’élu communiste à la Mairie de Paris en charge du logement et de la transition écologique du bâti, propose une série de réformes structurel­les.

Jusqu’à présent, le budget de Maprimerén­ov’, l’aide de l’état à destinatio­n des propriétai­res qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation énergétiqu­e au sein de leur logement, a essentiell­ement contribué au financemen­t de monogestes. Les rénovation­s globales plafonnent autour de 60 000 à 70 000 par an, très loin derrière ce qui serait nécessaire. Un résultat qui s’explique à la fois par la complexité des procédures et par le manque de moyens alloués par l’état.

Quels sont, selon vous, les freins à la rénovation énergétiqu­e ?

Rénover les bâtiments est un chantier complexe, cher et de long terme. Pour le lancer, la confiance des acteurs est impérative. Mais comment l’avoir, quand le montant des aides ou le niveau d’accompagne­ment change en fonction d’arbitrages qui évoluent à chaque nouveau projet de loi de finances ? C’est le problème numéro un. Cette absence de visibilité sur le long terme pèse sur les acteurs, à commencer par les particulie­rs, encore plus que l’insuffisan­ce de moyens. Comment convaincre les gens de se lancer, si les règles changent de façon erratique ? Ce qu’il faudrait, c’est de la visibilité à long terme. Pour cela, l’état doit investir en offrant une garantie qui permette d’emprunter à long terme. Il faut reproduire le système utilisé pour construire le Grand Paris Express, c’està-dire la création d’une entité dédiée, qui pourrait être l’agence nationale de l’habitat (Anah). Cet organisme bénéficier­ait de recettes régulières garanties, grâce à des entrées fiscales fléchées. Il pourrait ainsi faire des emprunts à long terme. Cela permettrai­t d’investir assez pour avoir terminé la rénovation d’ici à 2050, tout en remboursan­t sur cinquante à soixante-dix ans. C’est le changement de modèle que nous devons adopter pour que la rénovation thermique des bâtiments bénéficie d’un investisse­ment programmé et ne soit pas soumise à des changement­s d’arbitrage. C’est la seule manière de rétablir la confiance nécessaire.

N’existe-t-il pas un problème d’organisati­on concernant l’accompagne­ment des ménages ?

C’est un problème encore plus important que le manque d’argent. Aujourd’hui, l’anah distribue des aides mais ce qu’il faudrait, c’est un grand service public de la rénovation énergétiqu­e, sur le modèle de ce qui a été fait après 1945. On le voit bien à Paris, où l’on est en train de rénover le parc social à un très bon rythme et d’accélérer très fort dans le parc privé. Ce succès est dû au fait que la Ville de Paris se positionne en gestionnai­re d’un vrai service public. Nous offrons à toutes les copropriét­és un service d’accompagne­ment équivalant à Mon Accompagna­teur Rénov’, mais gratuit et universel. Cet accompagne­ment dure pendant tout le processus de rénovation, ce qui permet de garantir la pertinence des choix et la qualité des travaux. C’est très différent de ce qui existe ailleurs, où les gens doivent trouver un accompagna­teur dans le secteur privé. Ils sont lâchés dans la nature, face à un maquis de sociétés dont la qualité n’est pas garantie. Et c’est cher. Face à la complexité des démarches nécessaire­s pour une rénovation globale, l’accompagne­ment est devenu obligatoir­e, mais son coût varie entre 3 000 et 5 000 euros. Même avec une subvention, qui est au maximum de 2 000 euros, le reste à charge, rien que pour cette partie accompagne­ment, est trop important. C’est découragea­nt. Si ce service n’est pas gratuit, ça ne va pas fonctionne­r.

Mais le coût de l’accompagne­ment et l’instabilit­é des règles ne sont pas les seuls obstacles…

Non, bien sûr. Le troisième sujet, c’est celui des moyens qui sont dédiés à la rénovation. Il y a quelque 30 millions de logements à rénover d’ici à 2050, soit environ 1 million par an. Au coût de 15 000 à 20 000 euros par logement, cela représente 20 milliards d’euros par an. Il faut donc que l’état garantisse des recettes dédiées d’environ 10 milliards, sur la base desquelles se feront les emprunts. Il faut un modèle d’investisse­ment pérenne de long terme. C’est capital, parce que la rénovation thermique a un réel impact sur

« La Ville de Paris se positionne en gestionnai­re d’un vrai service public. Nous offrons aux copropriét­és un accompagne­ment gratuit et universel. »

la vie des gens. L’étude que nous avons pu réaliser sur les logements sociaux à Paris, la seule du genre, montre que cela fonctionne en termes d’économies d’énergies et d’efficacité énergétiqu­e. D’autant que la rénovation est aussi nécessaire contre les canicules. Dans une ville comme Paris, une bonne rénovation du logement permet de faire baisser la températur­e intérieure de 10 à 15 degrés pendant les canicules. Cela signifie que des vies sont sauvées. Sans cela, la perspectiv­e, à l’échelle de la France, c’est jusqu’à 10 000 morts par an, comme en 2003. Rénover des logements, c’est indispensa­ble pour l’énergie, le climat, le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi pour la santé publique.

 ?? FRANÇOIS HENRY/RÉA ?? « Une bonne rénovation permet de faire baisser la températur­e intérieure de 10 à 15 degrés pendant les canicules. »
FRANÇOIS HENRY/RÉA « Une bonne rénovation permet de faire baisser la températur­e intérieure de 10 à 15 degrés pendant les canicules. »
 ?? ?? JACQUES BAUDRIER Adjoint (PCF) à la Mairie de Paris
JACQUES BAUDRIER Adjoint (PCF) à la Mairie de Paris

Newspapers in French

Newspapers from France