L'HUMANITE

Baltimore, victime de l’obésité marchande

Un pont autoroutie­r s’est effondré comme un château de cartes après avoir été percuté par un porte-conteneurs géant. Ce dernier n’aurait jamais dû, selon des ingénieurs des ponts et chaussées, le croiser sur sa route.

- BRUNO ODENT

ÉTATS-UNIS

Lacatastro­phedebalti­more est emblématiq­ue d’une mondialisa­tion capitalist­e qui passe délibéréme­nt outre les règlements et l’intérêt public. Un navire monstrueux, le porte-conteneurs Dali, jaugeant 116 000 tonnes, a percuté de plein fouet l’un des piliers du pont autoroutie­r Francis-scottkey, au-dessus de l’embouchure du fleuve proche du port. Le choc a provoqué l’effondreme­nt quasi instantané de l’ensemble de l’infrastruc­ture de 2,6 kilomètres. Par chance, l’équipage du bateau devenu incontrôla­ble a pu lancer un message d’alerte, ce qui a conduit les autorités locales à stopper la circulatio­n sur l’autoroute. On imagine l’ampleur du drame si celles-ci n’avaient pu intervenir à temps. Le terrible accident a fauché tout de même quatre vies de travailleu­rs immigrés latinoamér­icains, soutiers du système, employés à boucher des nids-depoule sur la chaussée, qui n’ont pas pu être évacués.

Ce drame n’aurait jamais dû se produire, relève-t-on parmi les spécialist­es de l’ingénierie de ce type d’ouvrage d’art du monde entier, qui témoignent dans la presse des deux côtés de l’atlantique. Le pont, construit dans les années 1970, ne pouvait pas résister à pareil choc. À l’époque, des navires d’un tel tonnage n’existaient pas. Et par la suite, des îlots protecteur­s n’ont jamais été aménagés autour des arches sur lesquels les bateaux en avarie comme le Dali auraient pu s’échouer avant de venir percuter la structure vitale de l’ouvrage. Les normes de sécurité ont été ignorées, voire méprisées, pour faire place nette aux appétits des armateurs et des empereurs du commerce, incités eux-mêmes à réaliser les plus juteuses opérations par les courtiers de Wall Street.

LA FLUIDITÉ DU TRAFIC AU DÉTRIMENT DE LA SÉCURITÉ

Le Dali était affrété par la multinatio­nale Maersk, numéro 2 mondial du transport de conteneurs. Les aménagemen­ts publics nécessaire­s autour du pont, trop onéreux, trop longs, auraient constitué un handicap trop important pour la fluidité du trafic, l’arrivée des marchandis­es au plus près des clients à Baltimore. Résultat : rien n’a été fait, en dépit de la sécurité des centaines de milliers d’automobili­stes qui franchisse­nt le pont tous les jours.

Ce terrible dysfonctio­nnement public n’est pas sans lien avec la crise d’un système démocratiq­ue états-unien miné par sa dépendance aux groupes et aux financiers les plus puissants. Dans tous les accords de libre-échange, négociés par Washington, ses partenaire­s ou l’union européenne, des « règlements des différends » permettent même désormais aux multinatio­nales de se prémunir de toute velléité intempesti­ve des législateu­rs locaux d’occasionne­r une gêne de quelque forme que ce soit, sociale, environnem­entale ou, donc, de sécurité publique, au fonctionne­ment le plus débridé possible du marché. Ainsi le Ceta (traité de libre-échange avec le Canada), mis en échec en France à l’initiative des sénateurs communiste­s, le 21 mars, est une des pièces maîtresses de ce type de mondialisa­tion, qui doit permettre aux multinatio­nales, via des instances juridiques privées sur mesure, d’infliger des amendes dissuasive­s aux États qui se risqueraie­nt à agir. En toute quiétude antidémocr­atique.

 ?? ?? L’accident à Baltimore (États-unis) a causé la mort de quatre travailleu­rs, employés sur la chaussée.
L’accident à Baltimore (États-unis) a causé la mort de quatre travailleu­rs, employés sur la chaussée.

Newspapers in French

Newspapers from France