L'HUMANITE

Le tour de Perec en 53 jours

Les éditions l’oeil ébloui entament une collection de 53 livres de 53 pages, pour faire résonner une oeuvre qui ne cesse d’inspirer artistes, écrivains et lecteurs.

- ALAIN NICOLAS

La Collection Perec 53, de Jacques Bens, Georges Perec, Thierry Bodin-hullin, François Bon, Yokna, l’oeil ébloui, 4 × 53 pages, 12 euros chacun

P «ourquoi 53 ? » Cette question, Thierry Bodin-hullin s’y attend en se préparant à présenter la Collection Perec 53 devant une réunion de « porteurs de projets culturels » nantais. La réponse est prête. 53 jours, c’est le titre du roman auquel travaillai­t Perec au moment de sa mort, le 3 mars 1982. Dans le dernier chapitre, considéré comme « complet », il est fait mention d’un certain « G.P. » et des 53 jours qu’aurait mis Stendhal pour écrire la Chartreuse de Parme. Le roman, situé au Sahara, décrit une photograph­ie d’un panneau peint représenta­nt des chameliers sur leur monture, au-dessus de l’inscriptio­n « TOMBOUCTOU 52 JOURS ». Georges Perec hésite entre 52 et 53. Mais il faut que cela soit 53.

Le nombre 53 joue un rôle important dans l’imaginaire numérique de Perec. Il l’associe à la mort de sa mère, déportée le 11 février 43. Lui-même, baptisé pour échapper au génocide, a vu sur son certificat sa naissance datée par erreur du 5/3 au lieu du 7/3/36. Au 53, rue de Seine, il fait une tentative de suicide. À force de lire Perec, on voit des 53 partout, remarque Thierry Bodin-hullin dans Trajet Perec, le deuxième opus de la collection, ajoutant : « 53 est énigmatiqu­e, une date, une durée, un poids, une distance, un nombre qui ne serait finalement rien d’autre qu’un point. »

AU-DELÀ DU FÉTICHISME

Thierry Bodin-hullin est depuis toujours passionné par Perec. Il lui a consacré un des premiers mémoires de maîtrise soutenus en France. La maison d’édition qu’il a créée, l’oeil ébloui, tire son nom d’un livre – de Perec, évidemment, avec la photograph­e Cuchi White – consacré au trompe-l’oeil. Il l’avoue, il a ses « quatre étoiles d’admirateur émérite, le plus fou, le plus compulsif ». Rien d’étonnant donc que cette Collection Perec 53, 53 livres de 53 pages visant à faire vivre son oeuvre au-delà du fétichisme, et dont paraissent les quatre premiers opus.

En toute logique, Perec prend la parole en premier. Ou presque: c’est à Jacques Bens, oulipien de la première heure, qui eut l’idée des 50 choses qu’il ne faut pas oublier de faire avant de mourir, qu’il est associé dans ce premier volume. Perec ne savait pas qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre, et cette liste de projets, anodins ou ambitieux, résonne étrangemen­t.

François Bon, avec L’espace commence ainsi, entreprend de « dire sa dette » à Espèces d’espaces, un des textes les plus étonnants de Perec, de ceux que le temps n’arrive pas à rendre banals. Il « vit avec » depuis 1980, année où il l’a acheté « comme un outil ». Il consacre ce passionnan­t troisième volume à explorer « l’imaginaire d’un livre dans sa capacité à générer ce hors livre ».

Yokna, un collectif de graphistes au nom très faulknérie­n, a conçu Permutatio­n, une police dont la forme des voyelles varie discrèteme­nt selon leur position. Un mécanisme de création magnifique­ment adapté au projet, décrit avec simplicité et rigueur.

Les quatre premiers livres de cette collection hors norme sont à la hauteur de l’ambition de son créateur. On attend Claro, Anne Savelli, Antonin Crenn, on annonce Éric Pessan et bien d’autres. On a hâte.

 ?? SOPHIE BASSOULS / BRIDGEMAN IMAGES ?? Cette série fait référence à 53 jours, le roman inachevé de l’auteur décédé en 1982.
SOPHIE BASSOULS / BRIDGEMAN IMAGES Cette série fait référence à 53 jours, le roman inachevé de l’auteur décédé en 1982.

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