L'HUMANITE

Très bonne nouvelle sur la fonte des neiges

Dans un recueil de courts récits, Michel Jullien confirme l’acuité de sa vision et son humour sans peur qui slalome, avec art, sur les difficulté­s narratives.

- MURIEL STEINMETZ

MVu d’un cercle, de Michel Jullien, Verdier, 256 pages, 20 euros

ichel Jullien a des ressources langagière­s fécondes. Il s’attaque, cette fois, au genre de la nouvelle. Dans celle qui donne son titre au livre, on suit en parallèle un couple de voyageurs – lui est atteint d’une rage de dents – et deux alpinistes autrichien­s en perdition sur un glacier. Le point de rencontre ? Une lunette d’observatio­n avec « oeilleton grossissan­t » installée sur la terrasse d’un hôtel de Chamonix où le couple vient d’arriver. C’est au centre de ce cercle optique que nos deux touristes isolent un matin la « silhouette égarée » d’un des alpinistes, entreprena­nt une descente pitoyable à base de faux pas et de crocs-en-jambe tandis que la montagne se ramollit et que les « joints de glace entre les pierres se mettent à fondre ».

L’homme au chicot voit son mal diminuer à vue d’oeil, remplacé par le drame sur la face nord qu’il lorgne au soleil ! Michel Jullien s’en donne à coeur joie dans la surenchère sur la situation. Les clients, avertis, se relaient pour faire la queue devant l’objectif, afin d’observer de très loin les « errances du pantin », ses « sinistres écarts » dans la neige, pendant que là-bas, justement, le pauvre grimpeur taille « des marches dans la pente au canif, par centaines d’encoches arrachées à la glace » pour ne pas mourir. On goûte à plein le morceau de bravoure littéraire qui s’ensuit. Les douze autres nouvelles sont du même tonneau, avec, pour toutes, la descriptio­n de personnage­s ordinaires ou hors normes, plongés dans des situations improbable­s. Et quel humour à froid !

On se souvient que, dans l’île aux troncs (Verdier, 2018), Michel Jullien s’emparait du destin de deux mutilés de guerre, vétérans de l’armée rouge, sans bras ni jambes, « émondés », le « corps diminué », débarqués sur l’île de Valaam, confetti posé sur le plus grand lac d’europe. Le romancier s’emparait de cette réalité tragique pour concevoir une histoire d’amitié farfelue entre ces deux patriotes rafistolés. Dans Intervalle­s de Loire (Verdier, 2020), trois hommes décidaient de descendre la Loire en barque, sans moteur, prêts à ramer à tour de rôle pour parcourir 848 km (10 départemen­ts croisés) sans compter les zigzags… La prose de Michel Jullien révèle un goût certain pour la difficulté et le tour de force analytique. Et l’on applaudit chacune de ses histoires, qu’il s’agisse d’un roman ou de nouvelles. Il s’y trouve, toujours, de mémorables scènes d’anthologie.

L’auteur s’en donne à coeur joie avec

la descriptio­n de personnage­s plongés dans des situations improbable­s.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France