L'HUMANITE

Le fanonisme

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L’absolue horreur de la situation israélo-palestinie­nne est une entrée possible vers la pensée de Frantz Fanon et sa complexité, son ambivalenc­e, car les premières traduction­s en arabe des Damnés de la Terre, apparues dans les librairies de Beyrouth en 1963, ont contribué à façonner l’idéologie de la résistance palestinie­nne naissante : Abou Iyad, ancien dirigeant de l’organisati­on de libération de la Palestine (OLP), aimait à dire que Frantz Fanon était l’un de ses auteurs préférés et qu’il lui avait enseigné à ne pas craindre les fusils et les chars de l’ennemi lorsqu’on veut mener une révolution. Et si la pensée de Frantz Fanon a été souvent utilisée pour légitimer les pires usages de la violence, il est sans doute, lui l’ancien psychiatre, très éloigné d’un militant prêt à justifier la barbarie.

L’ouvrage d’adam Shatz, Frantz Fanon. Une vie en révolution­s (la Découverte, 2024), est une biographie intellectu­elle décrivant cet « indissolub­le » qu’il était : psychiatre et révolution­naire, écrivain et homme d’action, antillais et français, algérien et africain. Sans doute est-il aussi celui qui a éprouvé toutes les déceptions, tous les rêves meurtris, à commencer par ceux qu’il formait pour la République française universali­ste. Les Damnés de la Terre a été une « lecture obligatoir­e pour les révolution­naires des mouvements de libération nationale des années 1960 et 1970 », les Black Panthers, le mouvement de la conscience noire en Afrique du Sud, les guérillas latinoamér­icaines, L’OLP et les révolution­naires islamiques d’iran. Si Frantz Fanon était toujours vivant, peut-être que son exigence et son amour de l’universel le rattrapera­ient aujourd’hui devant tant de désastres et d’horreurs face à la haine et à la violence sans limite.

Quoi qu’il en soit, il reste une figure incontourn­able pour tant de projets, souvent très contradict­oires : « Nationalis­me noir et cosmopolit­isme, panafrican­isme et panarabism­e, laïcité et islamisme, marxisme et libéralism­e, revendicat­ions identitair­es et critiques de la politique de l’identité. » Ce qui le dérangeait plus que tout, écrit Adam Shatz, « ce n’était pas d’être moqué, ou même d’être l’objet d’éloges condescend­ants, que d’être simplement remarqué pour sa couleur : être vu (en tant que membre d’un collectif racialisé) et, en même temps, ne pas être vu du tout (en tant qu’individu). En cette terre étrangère, il aurait voulu être un homme invisible ». Cette invisibili­té qui est celle de l’indifféren­ce heureuse, assez inséparabl­e d’une forme de reconnaiss­ance d’égalité, une forme d’évidence qu’on adresse à son semblable, nous la chérissons tous, car elle est l’autre nom de l’acceptatio­n de nos différence­s et de nos singularit­és.

Les premières traduction­s en arabe des Damnés de la Terre, ont contribué à façonner l’idéologie de la résistance palestinie­nne.

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