L'HUMANITE

Silence radio dans les eaux internatio­nales

Dans le Naufrage, le journalist­e Sina Mir revient sur l’effroyable drame d’avril 2021 où 130 personnes ont péri en mer entre l’italie et la Libye. Une enquête remarquabl­e et terrifiant­e.

- MARGOT BONNÉRY

Le Naufrage, Paradiso Media

Le 21 avril 2021, un bateau pneumatiqu­e fait naufrage dans les eaux internatio­nales entre la pointe de l’italie et la Libye. Depuis son navire de sauvetage, L’ONG SOS Méditerran­ée distingue des « visages dans l’eau qui ne se relèvent pas » au milieu d’une dizaine de gilets flottant à la surface. Malgré une trentaine d’appels de détresse pourtant relayés par l’avion qui surveille la frontière maritime, 130 personnes meurent noyées. Les vagues ont détruit le canot avant de l’engloutir. Les migrants auraient dû être accueillis dans un port de refuge. Ce ne fut pas le cas. De leur côté, comment les autorités compétente­s et les aides humanitair­es ont-elles agi ?

Pour porter ce drame aux yeux du monde, le journalist­e Sina Mir enquête. Pas à pas, le podcast en quatre épisodes remonte la chaîne des événements, tend le micro aux témoins, se procure données, statistiqu­es et enregistre­ments radio. À partir d’éléments factuels, et tout en prenant du recul sur cette tragédie, Sina Mir souhaite comprendre « ce qu’il y avait derrière ces naufrages, étudier le mécanisme », explique-t-il par téléphone. Accusées notamment par l’extrême droite italienne d’être complices des passeurs, les ONG sont soumises depuis 2017 à un code de conduite qui a pour volonté d’encadrer leurs actions au large des côtes libyennes. En réalité, ce code divise : selon Sina Mir, il entrave davantage qu’il n’encadre les opérations de sauvetage.

Cette intimidati­on se ressent en majeure partie dans les témoignage­s et enregistre­ments recueillis pour ce podcast, et permet de «mesurer concrèteme­nt le blocage politique installé en Méditerran­ée et ses conséquenc­es mortelles ». Le 21 avril 2021, en plein coeur d’une tempête et après 22 heures de navigation, le téléphone satellitai­re des passagers a cessé toute émission à partir de 20 h 15. Pourtant, les appels et coordonnée­s GPS ont été «relayées aux autorités européenne­s et libyennes qui opèrent sur cette zone maritime ». Ce drame n’est qu’un exemple de ces bateaux de la mort. «Sur la dernière décennie, 30 000 décès ont été recensés en Méditerran­ée », ajoute le journalist­e.

Pour ne pas les voir uniquement « comme une masse », le chroniqueu­r souhaite réhumanise­r ces êtres engloutis par la mer, et dont les familles ne verront jamais les corps. «Lorsque ces personnes entament un trajet migratoire, elles subissent des violences et des crimes, précise Sina Mir, chacun abandonne sa famille, ses études, sa classe sociale, sa vie. » Poser un nom sur un visage, c’est rendre son identité au défunt. En ce qui concerne le naufrage du 21 avril 2021, une vingtaine de passagers ont pu être identifiés à ce jour sur les 130 ayant péri. C’est notamment le cas de Mobarak, un jeune homme de 23 ans dont les frères et soeurs vivent chez ses parents, dans la banlieue de Khartoum, capitale du Soudan. Un podcast difficile mais nécessaire pour comprendre le décalage entre les faits, la réponse politique et la couverture médiatique.

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FLAVIO GASPERINI/AP/SIPA Le 22 avril 2021, au nord-est de la Libye, les débris du bateau pneumatiqu­e qui transporta­it les 130 migrants.

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