L'HUMANITE

Al Argany, le lucre d’un profiteur de guerre

- ROSA MOUSSAOUI

La contreband­e vers Gaza a permis à cet affairiste lié aux services égyptiens de faire fortune.

Il fait aujourd’hui flamber le prix des transferts des Palestinie­ns fuyant l’enclave.

Côté pile, il y a la personnali­té publique : un enfant du Sinaï, dignitaire tribal influent, homme d’affaires prospère choyé par le régime du général Al Sissi. Dans cet habit-là, Ibrahim Al Argany se consume de colère et d’indignatio­n devant le martyre des Palestinie­ns de Gaza. « La justice de la cause palestinie­nne reste un test et une mesure de la justice des politicien­s du monde», écrit-il sur le réseau social X. Et puis, côté face, il y a le parrain aux méthodes mafieuses associé des services de renseignem­ents égyptiens, à qui le blocus de Gaza a permis d’amasser toute une fortune d’argent sale : contreband­e, racket, trafic d’êtres humains.

Parmi les multiples sociétés que dirige Al Argany, celle qu’il a dédiée aux services touristiqu­es, Hala Consulting and Tourism Services, connaît ces derniers temps un développem­ent florissant. Avant l’offensive israélienn­e à Gaza, sa prestation de transfert en bus des habitants de l’enclave palestinie­nne vers Le Caire se monnayait 700 à 1 200 dollars par voyageur. Les prix ont été multipliés par cinq, au bas mot, depuis le 7 octobre 2023. Cette agence « est composée en grande partie d’anciens officiers militaires égyptiens », relevait Human Rights Watch en 2022 dans un rapport consacré à Gaza.

INTIME DU CLAN AL SISSI

Al Argany n’a cependant pas toujours été dans les petits papiers du pouvoir égyptien. À la fin de l’année 2008, il a même été arrêté au cours d’affronteme­nts entre les Bédouins du Sinaï et les forces de sécurité. Le trafiquant, qui trempait déjà dans la contreband­e de marchandis­es et d’armes à travers les tunnels creusés entre l’égypte et la bande de Gaza, est alors incarcéré. À sa libération, à l’été 2010, il noue des liens étroits dans l’appareil militaire et policier. Et, après le coup d’état de 2013, cette coopératio­n s’affiche au grand jour : Al Argany supervise les milices tribales qui secondent les services de sécurité dans la péninsule, partage avec les militaires les profits de la redevance imposée aux camions entrant dans la bande de Gaza (avant la guerre: plus de 11000 dollars par passage), devient l’intime de Mahmoud Al Sissi, fils du dictateur, aujourd’hui chef adjoint des renseignem­ents égyptiens. Avec des hauts gradés, il fonde plusieurs sociétés, dont Sons of Sinaï, qui gère de juteux contrats liés aux efforts de « reconstruc­tion » de l’enclave. Transfert de marchandis­es, constructi­on, transport: il bâtit un véritable monopole. Plus encore depuis le 7 octobre, Gaza, pour cet affairiste sans scrupule, est une poule aux oeufs d’or.

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