L'HUMANITE

« Quand j’ai ma mère au téléphone, j’entends les tirs, les bombes »

Devant les difficulté­s rencontré es pour mettre leurs proches à l’abri, des familles francopale­stiniennes se sont constituée­s en collectif. Elles dénoncent l’ inaction du Quai d’orsay et les blocages de la Place Beauvau, et espèrent accélérer les procédur

- ELISABETH FLEURY

Il y a ceux qui ont les moyens de payer des passeurs égyptiens. Et puis, il y a les autres. Ceux qui, par principe, refusent d’alimenter ce racket. Et ceux qui n’ont pas de quoi débourser les sommes nécessaire­s. Depuis six mois, ces Franco-palestinie­ns-là vivent la pire des angoisses. Chaque matin, au réveil, ils se demandent si ceux qu’ils aiment sont encore vivants. Chaque jour, ils se désespèren­t de leur impuissanc­e à leur venir en aide. « Quand j’ai ma mère au téléphone, j’entends les tirs, les bruits des bombes, raconte Amina (1), dont la famille vit depuis cinq mois sous des tentes à Rafah. Elle me demande ce que je fais, pourquoi rien ne bouge, pourquoi elle est toujours bloquée là-bas. J’essaie de la rassurer mais je lui mens. En réalité, aucune de mes démarches n’aboutit jamais. »

D’abord sidérés par l’attaque du Hamas et l’ampleur de la riposte israélienn­e, les Franco-palestinie­ns installés en France se sont rapidement tournés vers la cellule de crise du consulat général à Jérusalem. Des échanges courtois mais sans effet. « Quasiment aucun d’entre nous n’a pu faire évacuer ses proches par ce biais », explique Adam S., qui a perdu trois membres de sa famille dans les bombardeme­nts. Une situation d’autant plus inexplicab­le qu’une opération d’évacuation a été rondement menée, en février dernier, pour les 42 salariés de l’institut français de Gaza et leur famille. « Du jardinier au directeur, quel que soit leur type de contrat, quelle que soit leur nationalit­é, ils ont tous été rapatriés en France, s’étonne Adam. À nous, qui sommes franco-palestinie­ns, on nous répond que c’est impossible. »

À Paris, le ministère de l’intérieur est aux abonnés absents. Le Quai d’orsay, après avoir promis des évacuation­s, multiplie les réponses laconiques. À Jérusalem comme au Caire, les ambassades se déclarent incompéten­tes pour délivrer des visas. « Tout le monde se renvoie la balle », constate Amina. Leurs démarches individuel­les ayant échoué, une quinzaine de ces Francopale­stiniens ont décidé de se regrouper, la semaine dernière, en un « collectif de ressortiss­ants français demandant l’évacuation de leur famille de la bande de Gaza depuis octobre 2023 ». Courriers, relances, alertes médiatique­s… avec le soutien d’une poignée d’avocats, ils tentent de briser le silence. « Nos familles endurent des conditions de vie extrêmemen­t précaires, ont-ils écrit au Quai d’orsay. Chaque jour qui passe aggrave leur vulnérabil­ité. » Un article de Mediapart leur a appris que le blocage se situait Place Beauvau. « Il paraît qu’ils ciblent les demandes d’évacuation, ironise Amina. Il leur faut trois mois pour se rendre compte que ma mère, à 80 ans, n’est pas une terroriste ? »

L’ambassade de France au Caire ayant refusé d’enregistre­r sa demande de visa, la jeune femme vient de saisir le tribunal administra­tif d’un référé-suspension. Une démarche qu’elle qualifie elle-même de « dérisoire ». « Face à l’urgence, au risque de mort imminente, j’ai du mal à expliquer à ma mère que ça peut être utile. »

(1) Les prénoms ont été changés.

« Il leur faut trois mois pour se rendre compte

que ma mère, à 80 ans, n’est pas une terroriste ? »

AMINA

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AFP Poste-frontière entre l’égypte et Gaza, le 26 décembre 2023.

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