L'HUMANITE

«La soul est dans nos racines»

MUSIQUE Le groupe Texas, emmené par la charismati­que Sharleen Spiteri, s’est rendu aux États-unis pour revisiter son répertoire avec l’aide de l’organiste vétéran Spooner Oldham. Un exercice d’épure aux flagrances soul et gospel.

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CLÉMENT GARCIA

Au sein des Swampers, la section rythmique des mythiques studios Fame de Muscle Shoals, situés en Alabama, ou comme auteur-compositeu­r subtil, Spooner Oldham a contribué à écrire quelques-unes des plus belles pages de la musique noire américaine. L’organiste et claviérist­e légendaire a posé sa griffe sur les albums d’aretha Franklin, Wilson Pickett ou Percy Sledge, mais aussi de Bob Dylan, Neil Young, J. J. Cale, Cat Power, entre tant d’autres. Le groupe Texas, au succès public jamais démenti, s’est adjoint ses services pour enregistre­r, dans les studios Fame, des reprises de leurs propres succès agrémentée­s de quelques pépites musicales du cru. Un album surprenant où plane la voix de Sharleen Spiteri.

C’est un album étonnant dans votre parcours, une compilatio­n de vos succès, mais totalement revisités, épurés…

Je suis vraiment surprise des réactions. Quand nous sommes allés à Muscle Shoals au début de l’année dernière, nous venions juste de publier un best of. Et personne auparavant n’avait osé sortir deux best of d’affilée. Puis, en l’enregistra­nt, on a trouvé l’album très beau, avec un regard différent sur nos chansons. L’idée n’était pas d’atteindre les charts, mais de remercier nos fans en leur offrant quelque chose d’autre. Je n’étais pas censée en faire la promo, mais beaucoup de gens m’ont dit vraiment aimer l’album, alors…

Comment est née l’idée de The Muscle Shoals Sessions ? Était-ce un rêve d’enregistre­r dans ces studios mythiques ?

Il y a environ huit ans, Kenny Gates, le propriétai­re de Pias Records, a proposé à certains artistes du label de faire un album avec un accompagne­ment piano. J’ai dit « OK », mais il me fallait la personne idoine. Parce que je pouvais m’y mettre le lendemain, en deux heures, juste le piano et mon ego, merci et au revoir ! Mais ce n’est pas comme ça que nous concevons les choses. Je ne dis pas que tous les disques que nous avons faits sont géniaux, mais nous avons toujours essayé de les faire du mieux que nous pouvions. Quand je serai morte et que le groupe n’existera plus, je veux laisser comme un héritage. Et quand on a l’opportunit­é, ou l’honneur, d’en laisser un, autant qu’il soit bon. Nous avons donc parcouru une liste avec de nombreux noms. Ça nous a pris deux ans d’allers-retours avec la maison de disques quand, un jour, quelqu’un nous a dit que le père de son meilleur ami était Spooner Oldham…

Le connaissie­z-vous ?

Oui, mais nous ne nous étions jamais rencontrés. J’avais vu des documentai­res sur Muscle Shoals et les studios

Fame, avec ces jeunes gars blancs qui accompagna­ient Aretha Franklin sur son disque (I Never Loved a Man The Way I Love You, en 1967 – NDLR). Je connaissai­s donc toute cette histoire, ainsi que les disques sur lesquels Spooner jouait, notamment avec Neil Young, mais je ne savais pas qu’il faisait encore de la musique. Je n’ai pas hésité une seconde. Nous lui avons envoyé tous les morceaux originaux en lui disant : « Voici ce que nous sommes. Qu’en pensez-vous ? Seriez-vous prêt à relever le défi ? » Il ne connaissai­t pas notre musique, mais il est entré dedans. Nous sommes donc montés dans un avion direction l’alabama. Et lui avons tout de suite proposé de faire une nouvelle version de Keep on Talking, la chanson qu’il a écrite avec Dan Penn, un grand classique de la northern soul, une musique qui nous a beaucoup influencés. C’était une des connexions entre nous.

L’influence de la soul a toujours été présente dans le son de Texas…

Elle est dans nos racines, dès le début avec l’album Southside. À l’époque, nous sonnions plus blues et country. Puis au fur et à mesure que je me suis trouvée vocalement, c’est devenu plus soul.

Vous aviez d’ailleurs fait une très belle reprise de d’al Green…

Tired to Be Alone,

Cette reprise a tout changé. Tout le monde m’a dit : « On ne savait pas que tu chantais comme ça. » Les gens étaient impression­nés par cette voix de falsetto. La voix de tête est pleine de « soul », d’âme. Ça a été un catalyseur qui nous a poussés à écrire Say What You Want, un de nos plus grands succès.

Quels sont les musiciens de soul qui vous ont le plus influencée ?

Marvin Gaye. Toute la journée, tous les jours. Marvin est mon Dieu. Surtout avec Tammy Terrell. Cette connexion, ces voix si belles, j’adore ça.

C’est une musique qui vous a toujours bercée ?

J’ai grandi avec des parents qui étaient à fond dans la musique. Mon père travaillai­t aux États-unis pour une grande compagnie pétrolière. Il était capitaine de marine marchande et avait l’habitude de rapporter beaucoup de choses, notamment tout ce qui avait un son psychédéli­que, Jimi Hendrix, les Byrds, Gene Clark. Et ma mère, c’était tout le contraire. Elle aimait le jazz, la soul et le blues : Ella Fitzgerald, Mahalia Jackson, les Staple Singers, Al Green, Marvin Gaye, tous les trucs de la Motown. Il n’y a donc rien que je n’aie vraiment jamais entendu.

Comment s’est passé l’enregistre­ment avec Spooner Oldham ?

Moi ou Johnny (Mcelhone, bassiste du groupe – NDLR) lui jouions certains morceaux à la guitare acoustique et je chantais. Il nous fallait simplement les épurer. C’était comme si nous rentrions directemen­t en studio, sans répétition. C’était intéressan­t de savoir ce qu’il y entendait lui-même en tant qu’auteur-compositeu­r et musicien. Par exemple la chanson Inner Smile, l’un de nos plus grands succès, n’est pas sur l’album. Spooner ne la considérai­t pas faite pour lui. Quelqu’un de la maison de disques a insisté, mais si Spooner ne ressentait pas la chanson, il n’en était pas question. J’ai trouvé beaucoup de vérité dans cette manière de faire. Le public sent quand c’est faux. Je ne sais pas pourquoi ces grands cadres ne le voient pas. Ils ne pensent souvent qu’à gagner de l’argent, qu’au « produit ». Comme dans un immense buffet où vous pouvez manger tout ce que vous voulez, puis que vous finissez malade. Alors que, quand un chef assemble tous les mets avec un ordre, on se dit qu’on a vécu une expérience.

The Muscle Shoals Sessions, de Texas & Spooner Oldham, Standard. Date unique en France, le 18 juillet, au théâtre antique d’arles.

 ?? CLYDE GATES ?? Spooner Oldham et Sharleen Spiteri devant les studios Fame de Muscle Shoals, en Alabama.
CLYDE GATES Spooner Oldham et Sharleen Spiteri devant les studios Fame de Muscle Shoals, en Alabama.

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