L'HUMANITE

Dette mondiale, ou l’économie de guerre!

PASCAL SAVOLDELLI Sénateur PCF du Val-de-marne, vice-président de la commission des Finances

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D’aucuns auraient tort de prendre à la légère les propos d’un président de la République qui ne cesse de réitérer son obsession d’économie de guerre. Son gouverneme­nt nous y installe profondéme­nt. D’abord au travers de réductions budgétaire­s à la portée inédite et qui ne constituen­t ni plus ni moins que des rationneme­nts. Ensuite, en tentant de moraliser un capitalism­e sans limite : c’est ce que signifie la propositio­n de financer l’industrie militaire par le livret A. Enfin, avec une politique de « réarmement », dont il ne s’agit plus seulement d’éléments de langage, mais d’une réelle politique économique particuliè­rement dangereuse. Paris est devenu le deuxième vendeur d’armes au monde, doublant une Russie concentrée sur « sa » guerre en Ukraine.

Anticipant les tensions accélérées d’un monde capitalist­e multipolai­re, la France a fait du Moyenorien­t et de l’asie le jardin des Dassault, Naval Group et consorts : c’est bien dans cette région que s’achète le plus de matériel militaire, là aussi où la France vend le mieux. Et pour cause, Paris se sait évincé par les États-unis des marchés australien et européen. Démocrates et républicai­ns ont, en effet, trouvé un accord pour rembourser une dette fédérale atteignant désormais plus de 125 % de leur PIB : une fois n’est pas coutume, ça sera la vente d’armes. C’est bien le sens du coup de

Trafalgar de la crise des sous-marins australien­s, où Washington a laissé la France et son « contrat du siècle » sur le bord de la jetée.

Le fait est que l’économie de guerre induit une guerre économique entre puissances, mêmes «alliées». Le marché européen de l’armement, dopé par le conflit en Ukraine, n’y échappe pas. Les États-unis s’y trouvent aujourd’hui dans une situation de quasi-monopole. Par-delà le monde, les chanceller­ies ont laissé place aux états-majors dans les relations internatio­nales. De Tel-aviv à Moscou, des sociétés se sont profondéme­nt militarisé­es, réveillant une diplomatie dite « westphalie­nne » et prédatrice.

Depuis que la Russie a envahi l’ukraine, elle pèse désormais plus que jamais sur le marché du blé, avec 25 % des exportatio­ns mondiales. Réactivant le vieux rêve de faire de la mer Noire un « lac russe », elle est désormais maître en mer d’azov, et contrôle, via le canal Don-volga, 100 % du commerce maritime des pays d’asie centrale. Ce sont ces mêmes logiques qui sont à l’oeuvre dans le désastre humanitair­e à l’est du Congo, ou « guerre du coltan ». Sans même parler du regain de tensions dans le détroit de Taïwan, axe logistique majeur du commerce mondial. C’est enfin le sens de l’affronteme­nt désormais affiché contre les Houthis pour le contrôle de la mer Rouge, où transitent 75 % des importatio­ns maritimes européenne­s.

Les tenants de la guerre économique, a fortiori le complexe militaro-industriel, ont-ils réellement intérêt à la paix ? Pour ce qui est des créanciers de la dette mondiale, publique comme privée, nous avons déjà la réponse. Leur seul intérêt, c’est le cynisme de la rentabilit­é. Cela, quel qu’en soit le prix pour les peuples, y compris pour les Ukrainiens qui devront tôt ou tard rembourser leurs prêts.

La dette mondiale annihile le droit au développem­ent et la souveraine­té des pays du Sud, tout autant qu’elle sert à justifier la course à l’armement des puissances. Cette voie n’a qu’une issue : la fin du multilatér­alisme, l’exacerbati­on des tensions vers un point de non-retour, et l’échec d’une solution globale de paix et de sécurité collective.

Il existe pourtant une voie vers un monde de coopératio­n. Une voie qui nous rappelle l’urgence de sortir d’un capitalism­e financier outrancier, exigeant des rendements exorbitant­s, et qui met en danger l’humanité et la planète. C’est la voie qui devient populaire dans le « Sud global » et qui appelle à prendre le contre-pied des institutio­ns internatio­nales telles que le FMI, L’OMC et la Banque mondiale. D’une manière ou d’une autre, cela passera par un événement internatio­nal, que pourraient accueillir la France et une Europe de la paix, qui encourager­aient la création de nouveaux instrument­s aptes à taxer le capital par l’impôt, à sceller l’annulation de la dette globale et à acter la fin de la tutelle des créanciers sur l’agenda politique mondial.

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