L'HUMANITE

Autonomie de la Corse, la revanche de Maurras

- BENOIT VAILLOT Historien

Le projet visant à inscrire un statut d’autonomie pour la Corse dans la Constituti­on, porté par Gérald Darmanin, met au jour la vraie nature de toute la politique territoria­le entreprise par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir : une conception maurrassie­nne de l’identité, de l’état et de la France. Nous avions déjà pu apprécier les propos du président de la République en 2020, lorsqu’il distinguai­t un « pays légal » et un « pays réel ». Devant les élus corses, en septembre 2023, il évoquait la reconnaiss­ance en Corse d’une « communauté historique, linguistiq­ue, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ». Des paroles, Emmanuel Macron est passé aux actes, sa déclaratio­n constituan­t mot pour mot le premier alinéa de l’article proposé par Gérald Darmanin aux élus corses pour inscrire l’autonomie de la Corse dans la Constituti­on, dans la perspectiv­e de sa révision.

La classe politique française ne saisit pas la revanche historique de Charles Maurras à laquelle nous assistons. L’intellectu­el réactionna­ire défendait en effet un « nationalis­me intégral » en opposant un « pays réel », enraciné dans la religion, les traditions et les langues régionales, à un « pays légal », incarné par la raison, l’égalité entre les citoyens et les institutio­ns républicai­nes, dominé par les quatre « États confédérés des protestant­s, juifs, francsmaço­ns et métèques ». Selon Charles Maurras, « la loi doit se plier aux variétés physiques et morales du pays, ou plutôt découler de ces variétés » afin d’abattre le « pays légal ». L’un des principes fondamenta­ux de la pensée maurrassie­nne a ainsi trait à la question de l’organisati­on territoria­le, et prône une organisati­on politique et administra­tive différente pour chaque territoire. L’autonomie de la Corse n’est ainsi rien d’autre que le triomphe de la conception ethnique de l’identité des « nationalis­tes intégraux » corses contre la République.

Le président de la République et le ministre de l’intérieur ne sont pas les seuls à céder au maurrassis­me ambiant, plusieurs élus régionaux, comme des vautours autour du cadavre de la République, se sont empressés de réclamer à leur tour, non pas les moyens d’assurer les compétence­s dont ils ont la charge – ce qui s’entend –, non pas des prérogativ­es supplément­aires dans le cadre d’un nouvel acte de décentrali­sation – ce qui se discute –, mais rien moins que la même chose que pour la Corse.

La différenci­ation territoria­le mise en oeuvre par Emmanuel Marcon depuis son arrivée au pouvoir transpire une vision maurrassie­nne de la France remaniée à la sauce néolibéral­e. En a-t-il même conscience ? Ne nous y trompons pas, accorder l’autonomie à la Corse ou à un quelconque autre territoire aujourd’hui, c’est adhérer à une vision ethnique de l’identité, participer à la destructio­n des services publics et préparer les sécessions territoria­les, demain. Cette conception de l’organisati­on territoria­le de la France, même l’état de Vichy n’avait pas osé la mettre en oeuvre. La prochaine étape sera sans nul doute l’abolition des départemen­ts et l’abandon pur et simple de certains territoire­s ; cela a déjà commencé outre-mer. Rappelons que cette différenci­ation territoria­le, dans toutes ses variantes, a été refusée par les Français chaque fois qu’on les a interrogés. On ne prend plus le risque de les consulter, et pour cause! Les Corses interrogés par référendum en 2003 ont explicitem­ent refusé la création d’une collectivi­té unique : elle a été créée de manière insidieuse à travers la loi NOTRE. Les Alsaciens, eux aussi, ont écarté par référendum en 2013 la fusion des conseils généraux du Basrhin et du Haut-rhin : non seulement la collectivi­té européenne d’alsace leur a été imposée, mais on l’a aussi dotée de pouvoirs exorbitant­s de droit commun.

C’est plus de services publics, plus d’état et plus de République que réclament les Français, et non la destructio­n des premiers, le désengagem­ent du deuxième et la dissolutio­n de la dernière. La crise du logement en Corse est-elle une question d’autonomie ou la conséquenc­e d’une absence de politique de logement ? L’existence de déserts administra­tifs et médicaux est-elle une affaire de compétence législativ­e ou d’abandon des services publics par l’état ? Emmanuel Macron répond par la différenci­ation territoria­le à toutes les conséquenc­es de sa politique antisocial­e. Voilà, là encore, une constante des héritiers de Charles Maurras, de répondre par l’identité à une question sociale et politique. Le formidable travail de soi sur soi, où la France, pendant mille ans, a constitué son unité, où la République, pendant deux cents ans, l’a rendue indivisibl­e, est en train d’être brisé par ceux-là mêmes qui devaient en être les protecteur­s.

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