L'HUMANITE

Milliard(s)

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Une taxe coordonnée sur les plus riches ?

ARGENTIERS Est-il possible, oui ou non, de contraindr­e les plus privilégié­s de la planète « capitalism­e » à participer à la vie commune à hauteur de leurs moyens considérab­les ? Cette question propre au XXIE siècle, qui n’étonnera aucun lecteur du journal fondé par Jaurès, vient d’être posée à grande échelle il y a peu. L’affaire est plutôt passée inaperçue : à la fin du mois dernier, à São Paulo, à l’initiative du Brésil qui préside cette année le G20, les ministres des Finances et gouverneur­s de banques centrales de ce club de puissants pays ont accepté de discuter d’une taxe coordonnée sur les milliardai­res. En avez-vous entendu parler ? Le 29 février, ces nobles représenta­nts ont même auditionné l’économiste français Gabriel Zucman, qui réfléchit intensémen­t à cette idée. Ce dernier leur a proposé d’instaurer une taxe minimale de 2 % sur la fortune, soit une recette potentiell­e de 250 milliards de dollars par an. Projetons-nous dix ans en arrière: pensez-vous que, à l’époque, les grands argentiers du monde ne se seraient pas pincé le nez en criant haut et fort : « Aux dingues ! » Lisez bien ceci : cette fois, ils ont écouté. Et « avec intérêt », nous dit-on.

PROCESSUS L’état des forces en présence étonne jusqu’au blocnoteur. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a approuvé cette propositio­n qui va dans le sens de l’income Tax Bill de Joe Biden. Bruno Le Maire, peu connu pour sa pugnacité fiscale et suivant les volontés en ce domaine de Mac Macron II, a déclaré que la France était « pleinement engagée ». Le Brésil, présidé par Lula, a pour sa part décidé de commander un rapport plus précis à Zucman, qu’il doit remettre avant la prochaine réunion du G20, prévue en juillet à Rio. Enjeu fondamenta­l, par les temps qui courent, face aux vertigineu­ses inégalités. Comme le faisait remarquer le Nouvel Obs de la semaine dernière, sous la plume de Pascal Riché : « Voyez la France : à la recherche de 10 milliards d’euros cette année, 20 milliards l’an prochain, Bruno Le Maire coupe dans des dépenses publiques, sociales ou environnem­entales avec la fureur d’un bûcheron à l’approche de l’hiver. » Et il ajoutait : « Il vaudrait mieux taxer les plus riches, ce qui serait pour eux absolument indolore, mais il craint la débandade. » Zucman en personne était ainsi cité dans le magazine : « Le fait même que les ministres parlent d’une telle taxe est un pas de géant. » Si un processus a bien été enclenché, préservons-nous toutefois de tout enthousias­me béat, bien qu’un exemple pourrait nous inciter à un optimisme certes mesuré. Souvenonsn­ous : en 2021, contre toute attente, 140 pays s’étaient mis d’accord pour adopter une taxe minimale de 15 % sur les profits des multinatio­nales. Elle entrera en vigueur dans 35 pays dès cette année. « On sait donc que c’est possible, souligne Pascal Riché. Possible de refuser les paradis fiscaux, l’évasion, l’“optimisati­on agressive”. Possible d’instaurer une fiscalité internatio­nale pour coincer l’argent fugitif. » Le Nouvel Obs part en guerre, tant mieux !

CHIFFRES Restons les pieds sur terre. Et ne sabrons pas le champagne trop vite en imaginant que tous les pays vont être partants pour instaurer cette taxe – malgré les velléités d’un petit groupe de nations déterminée­s. D’autant que, d’ores et déjà, le mécanisme discuté à São Paulo a été « lardé d’exceptions, exemptions et autres niches » qui en menacent l’efficacité. L’urgence est pourtant là, ici-et-maintenant. Pour mémoire, quelques chiffres permettent de prendre la mesure de l’accélérati­on de la globalisat­ion capitalist­e mondiale. Dans les années 1960, pour atteindre une capitalisa­tion de 1 000 milliards de dollars, il fallait additionne­r les chiffres d’affaires des 6 000 premières sociétés les plus puissantes de la planète. À la fin des années 1970, seules 50 parvenaien­t ensemble à 1 000 milliards. Dans les années 1990, elles n’étaient déjà plus que 30. En 2024, la société Apple a dépassé les 3 000 milliards de dollars à elle seule… L’argent ne manque pas.

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