L'HUMANITE

« Le syndicalis­me est un rempart »

Depuis la bourse du travail à Paris, la CGT, la CFDT, l’unsa et leurs homologues allemands de la DGB et italiens de la CGIL ont affiché leur unité pour contrer l’extrême droite.

- NAÏM SAKHI

En Europe, les syndicats tiennent la digue. C’est le message envoyé par la CGT, la CFDT et l’unsa à l’occasion d’un colloque, ce mardi 16 avril, à la bourse du travail à Paris. Organisées avec la Fondation Friedrich-ebert, proche du Parti social-démocrate allemand (SPD) et de la Confédérat­ion allemande des syndicats (DGB), deux tables rondes ont cherché à répondre à l’influence croissante de l’extrême droite dans le monde du travail. « Nous ne pouvons pas avoir la main qui tremble. Si nous sommes faibles, l’extrême droite parviendra à nous infiltrer », prévient Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’unsa.

Pour Yasmin Fahimi, présidente du DGB, la réponse doit être sociale : « Les travailleu­rs en sont à la 3e génération à connaître ces difficulté­s. Les politiques ont contribué à stabiliser l’économie, délaissant les conditions de travail et les assurances sociales. »

En Allemagne, le parti d’extrême droite allemand AFD est crédité de 18 à 20 % dans les sondages. Une percée enregistré­e dans l’ex-allemagne de l’est, mais aussi dans les zones rurales. « Il existe une fracture entre les villes et les campagnes. Les services publics de la petite enfance ou du grand âge, les hôpitaux et les postes disparaiss­ent de la ruralité », note Yasmin Fahimi. Un constat de délaisseme­nt des classes populaires que partage Maurizio Landini, de la confédérat­ion syndicale italienne CGIL : « Lors du précédent scrutin, 18 millions d’italiens se sont abstenus. Nous avons 7 millions de travailleu­rs pauvres en Italie. La précarité éloigne de la politique. Le travail doit être remis, pas seulement au niveau des droits, mais de son sens, au coeur des politiques. »

« MENER LA BATAILLE CULTURELLE » FACE AU POPULISME

À la tête d’une coalition avec la droite berlusconi­enne, Giorgia Meloni ne s’est pas attaquée frontaleme­nt aux syndicats. Profitant de l’absence de loi sur la représenta­tivité syndicale, « le gouverneme­nt nie notre rôle » dans le dialogue social, mesure le syndicalis­te italien. « L’extrême droite ne veut pas supprimer les syndicats, mais, comme sous Vichy, elle cherche à nous enfermer dans l’entreprise en rejetant notre fonction politique, analyse la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet. Or, nous devons nous exprimer sur les questions sociétales. » Safia Dahani, docteure en science politique, complète : « L’extrême droite vise au corporatis­me syndical, afin que les milieux profession­nels ne discutent pas entre eux et que les salariés soient incapables de mener des luttes globales. »

Les percées des populismes de droite poussent les syndicats à revoir leur stratégie. Pour « mener la bataille culturelle », la CGIL entend élargir ses alliances, indique Maurizio Landini. Le syndicat prévoit de mobiliser l’ensemble de la société civile contre le projet de réforme constituti­onnelle, alors que Giorgia Meloni veut faire élire

le chef du gouverneme­nt au suffrage universel. Marylise Léon (CFDT) liste trois leviers d’action : « Informatio­n auprès des salariés pour déconstrui­re le discours de l’extrême droite, formation de nos militants et actions de terrain. » « Nous devons démontrer, dans les entreprise­s, que leurs politiques sont au service du marché », assure Yasmin Fahimi. Comment? En plus du travail syndical, le DGB entend renforcer sa présence sur les réseaux sociaux. « En Allemagne, Tiktok est dominé par l’afd. Influenceu­r peut être une nouvelle activité syndicale », note la responsabl­e allemande.

LA DIFFICULTÉ : « CRÉER DES COLLECTIFS COMMUNS »

Depuis son congrès confédéral de 2023, la CGT a également investi les réseaux sociaux. Mais, selon Sophie Binet, l’extrême droite prospère d’abord «sur la fragmentat­ion du monde du travail, y compris dans la constructi­on de la plus-value. La difficulté pour les syndicats est de recréer des collectifs communs. L’unité syndicale joue un rôle central».

Reste que, pour Marylise Léon, « il est extrêmemen­t difficile de contrer les sujets imposés par l’extrême droite ». La secrétaire générale de la CFDT déplore que « l’affaibliss­ement des partis ait laissé le champ libre au RN », ajoutant que « très peu d’organisati­ons politiques s’intéressen­t au travail ». « Le rapport entre les syndicats et les partis politiques, notamment à gauche, a changé sous l’impulsion du New Labour. Il est crucial que les partis écoutent plus les syndicats sur les questions de salaire, de transition écologique et de sécurité sociale ! » tranche Hans-jürgen Bieling, professeur d’économie politique, auteur pour la Fondation Friedrich-ebert.

Sophie Binet prévient : « On ne gagnera pas avec de simples discours moralisate­urs. En 2002, l’extrême droite est arrivée au second tour, une première fois, après que le premier ministre a déclaré que l’état ne pouvait pas tout. L’extrême droite se nourrit de l’abandon des partis à lutter contre le capital. »

 ?? NICOLAS MORAUD ?? Paris, le 16 avril. Table ronde en présence de Sophie Binet (CGT), Maurizio Landini (CGIL) et Yasmin Fahimi (DGB).
NICOLAS MORAUD Paris, le 16 avril. Table ronde en présence de Sophie Binet (CGT), Maurizio Landini (CGIL) et Yasmin Fahimi (DGB).

Newspapers in French

Newspapers from France