L'HUMANITE

Dernière nuit d’insoucianc­e avant la vie nouvelle

Entre fiction et documentai­re, le réalisateu­r Damien Manivel saisit une bande de jeunes gens à l’aube d’une séparation et poursuit son dialogue avec la danse.

- L’île, de Damien Manivel, France, 1 h 13 SOPHIE JOUBERT

Les moyens du bord ont souvent des vertus créatrices. Contraint d’annuler le tournage de la fiction qu’il avait initialeme­nt prévue, Damien Manivel a eu l’idée de monter les rushes de répétition­s, de repérages et les images tournées au téléphone portable par ses jeunes comédiens. Le résultat est un enchevêtre­ment hypnotisan­t de temporalit­és, un film en constant déséquilib­re entre le réel et la fiction, un jeu de dedans-dehors entre les acteurs au travail et les personnage­s qu’ils incarnent.

L’argument de l’île, qui devait être tourné en plans-séquences, est simple : la veille de son départ pour Montréal où elle va poursuivre sa formation, Rosa, une jeune danseuse, retrouve ses amis pour une dernière soirée sur un bout de plage dont ils ont fait leur territoire. À mesure que la nuit tombe et que le moment de se séparer approche, les liens entre les jeunes gens, filles et garçons, se font plus intenses, les paroles, deviennent presque définitive­s, comme si c’était la dernière fois.

Après les Enfants d’isadora (2019) et Magdala (2021), Damien Manivel, à qui l’on doit aussi le très beau Takara, tourné au Japon, poursuit son dialogue fécond entre la danse et le cinéma. Danseur contempora­in de formation, il cherche chez ses jeunes acteurs une manière de se mouvoir, de courir, comme si la danse demeurait à l’état de trace ou de léger courant d’air. Film de montage, l’île fait cohabiter plusieurs textures d’images, le huis clos de la salle où s’écrit collective­ment le film, le soleil de midi des répétition­s sur la plage, la fin du jour, la nuit, puis l’aube pour les scènes de fiction tournées de nuit. Ce patchwork est cousu et unifié par la voix off de Rosa (Rosa Berder) qui, depuis le futur, égrène ses souvenirs de cette dernière nuit avant le grand basculemen­t dans le monde des adultes et la fin de l’insoucianc­e.

On pense parfois à Qui à part nous (2021), de Jonas Trueba, oeuvre-fleuve qui brouillait les frontières entre documentai­re et fiction pour raconter le quotidien d’un groupe d’adolescent­s madrilènes. Parce qu’il assume de laisser les coutures apparentes, Damien Manivel parvient à saisir la grâce de ce moment fragile, sur le fil, de l’adieu à l’enfance et à l’été, en symbiose avec le paysage breton.

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