Dans Civil War, l’amérique s’effondre dans l’oeil de journalistes
La guerre civile mise en images par Alex Garland ne vaut pas tant pour sa lecture politique de l’ère post-trump, reléguée au second plan, que pour son angle inattendu : interroger le regard des reporters chargés de couvrir le conflit et, à travers eux, celui du cinéaste, qui esthétise la guerre.
En 2022, le journal The Economist affirmait, sondage à l’appui, que 40 % des Américains estimaient probable que se déclenche une deuxième guerre de Sécession dans la décennie à venir. Un chiffre qui dit les plaies toujours à vif au pays de l’oncle Sam, de Tonton Trump, de Qanon et du crétin à tête de bison qui a cru pouvoir prendre le Capitole. Hollywood ne s’y est jamais trompé. Les turpitudes de l’amérique ont toujours été une intarissable source pour les scénaristes. En pleine campagne pour la présidentielle 2024, voilà donc Civil War, sur grand écran à partir du 17 avril. Nous sommes projetés dans un futur non daté mais diablement proche et familier, où les États-unis ne le sont plus tellement. Face à un président aux tendances fascistes, dont on comprend qu’il a rempilé pour plus de mandats que prévu et fait tirer sur la foule de ses opposants, de nombreux États sont sortis de l’union, notamment le Texas et la Californie. Des groupes paramilitaires aux objectifs flous sévissent dans le chaos ambiant. Les séparatistes marchent vers Washington. Aux journalistes d’immortaliser la fin de l’empire.
D’emblée, on comprend qu’alex Garland, le réalisateur et scénariste, nous a floués. Et c’est tant mieux. Civil War n’est pas un film de guerre, mais un film sur la couverture des conflits. Il n’y est pas question de soldats, mais de reporters. De vieux routards de la profession (interprétés par Kirsten Dunst et Wagner Moura) soudain confrontés sur leur sol à ce qu’ils ont couvert au tiers-monde et d’une jeune pousse qui fait ses premières armes (Cailee Spaeny, révélée dans Priscilla, de Sofia Coppola, en 2023).
UN JEU DE MASSACRE DE CHACUN CONTRE TOUS
Alex Garland pose son cadre dystopique pour questionner l’éthique journalistique sur le front, à la manière d’oliver Stone dans les années 1980 (avec Salvador). Quand un homme prend une balle, faut-il photographier l’horreur de la guerre pour la postérité ou le secourir ? En 1972, Nick Ut a-t-il commis une faute morale en photographiant la fillette brûlée au napalm, symbole instantané de l’hideur de la guerre, plutôt que de l’aider immédiatement ? Vieux débat que le cinéaste prolonge en interrogeant la fabrique des images de violence, donc le cinéma lui-même. Alex
Garland a bien compris que la guerre a quelque chose de cinégénique et s’efforce d’en déjouer les pièges : dans son film, le confit est, sans ambiguïté, une terrifiante saloperie.
Le choix d’angle relègue donc l’effondrement de l’amérique en toile de fond. Mais ce serait aller trop vite que d’y voir un renoncement à tout commentaire politique. Les soubassements de la guerre volontairement maintenus au stade d’esquisses, difficile de saisir qui se bat pour quoi dans Civil War. Seule analogie claire et nette : l’hubris trumpienne du président à abattre. Pour le reste, le film multiplie les scènes d’égarement entre les lignes de force, jusqu’à atteindre un sommet lors d’une séquence d’affrontement à distance entre deux snipers qui ne savent même plus pourquoi ils cherchent à se flinguer. La guerre civile selon Alex Garland n’oppose pas tant des camps que des gens esseulés, renvoyés à l’état de nature. Un jeu de massacre de chacun contre tous à l’heure de l’hyper-individualité et de la surpolarisation des opinions. La première guerre de l’ère Twitter.