L'HUMANITE

Voiture électrique : vers une auto jetable ?

L’associatio­n Halte à l’obsolescen­ce programmée pointe, dans un rapport, les pratiques de certains constructe­urs qui rendent véhicules et batteries non réparables.

- OLIVIER CHARTRAIN ET JESSICA STEPHAN

Des voitures « moins chères mais moins réparables » : les conclusion­s du rapport de l’associatio­n Halte à l’obsolescen­ce programmée (HOP), paru le 17 avril, sont inquiétant­es. Si rien n’est fait en termes de réglementa­tion pour la réparation des véhicules, nous pourrions plonger rapidement dans une ère de la voiture « jetable ». Avec tous les impacts environnem­entaux, et les surcoûts pour les consommate­urs, qui en découleron­t. Déléguée générale de HOP, Laetitia Vasseur alerte : « Le risque, c’est d’aller vers une “fastfashio­n” automobile. »

Dans l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, l’union européenne (UE) a décrété l’interdicti­on de commercial­iser des voitures à moteur thermique en 2035, condamnant celles-ci à l’obsolescen­ce réglementa­ire. De quoi relancer le marché de l’automobile neuve, alors que l’occasion représente aujourd’hui 75% des ventes en France… au grand dam des constructe­urs.

Mais ce bouleverse­ment a un coût, et même plusieurs. La question du prix d’achat reste posée, les divers systèmes de primes en vigueur dans L’UE n’y apportant pas de réponse satisfaisa­nte, ce que confirme le recul des ventes ces derniers mois. Le rapport de HOP attire l’attention sur d’autres coûts, cachés. « Il n’existe pas, pour l’instant, de réglementa­tion visant à garantir la réparabili­té et le remplaceme­nt des batteries », souligne le texte. Or celles-ci représente­nt entre 30 % et 40 % de la valeur d’un véhicule électrique. Mais, selon HOP, la moitié seulement des constructe­urs propose aujourd’hui des batteries réparables, alors qu’en changer intégralem­ent coûte « environ dix fois plus cher que de remplacer juste un module » de celle-ci. Autre problème de taille : il n’existe aucune garantie que tel ou tel modèle de batterie reste disponible plus de quelques années.

Ce champ libre laissé aux constructe­urs n’est pas sans conséquenc­es, d’autant que, malgré une maintenanc­e moindre, les voitures électrique­s ne sont pas à l’abri des pannes : « Même si la batterie pouvait théoriquem­ent durer vingt ans, les pannes électroniq­ues, connectiqu­es ou bien chimiques ne sont pas à exclure. Dans ces conditions, avoir accès à la batterie est souhaitabl­e, pour éviter un phénomène de “voiture jetable” », écrit l’associatio­n. Certains constructe­urs, comme Tesla, rendent la réparation impossible en appliquant des mousses entre le boîtier de batterie et les modules qui la composent. D’autres scellent les boîtiers de batterie à la constructi­on.

« UNE CONDITION SINE QUA NON DE LA TRANSITION »

Autre obstacle à la réparabili­té : la technique du « gigacastin­g », qui consiste à mouler d’un bloc plusieurs pièces de la voiture. « Les économies sont considérab­les à l’assemblage, de l’ordre de plusieurs milliers d’euros par voiture », relève le rapport. Le risque, si cette technique se répand, est celui d’un « gigagâchis » annoncé : « Au moindre choc, il faudra remplacer une partie si importante de la voiture qu’il sera probableme­nt plus rentable de la mettre à la casse. »

L’enjeu est d’autant plus important, rappelle Laetitia Vasseur, que, selon l’agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), « la disparitio­n des véhicules thermiques du paysage automobile ne sera pas effective avant 2050. Cela laisse donc du temps pour permettre aux gens d’acquérir en occasion, à moindre coût, un véhicule électrique de 10 ou 15 ans. Mais, pour cela, il faut que celui-ci ait été conçu pour être réparable. Et c’est aujourd’hui que tout se joue, car c’est maintenant que sont conçus les véhicules qui seront vendus dans dix ans. Nous souhaitons que les candidats aux élections européenne­s s’emparent de ce sujet pour le faire avancer dès la prochaine mandature ».

HOP rappelle la hiérarchie de traitement que préconise l’ademe :

« D’abord prioriser la réparation, le réemploi, la réutilisat­ion, puis le recyclage en dernier recours. »

L’associatio­n propose donc d’instaurer une garantie de réparabili­té sur dix ans pour les batteries et des normes imposant des pièces à la fois démontable­s et disponible­s pour une durée d’au moins vingt ans – soit la durée de vie moyenne d’un véhicule particulie­r aujourd’hui. Le rapport souligne que « la durabilité et la réparabili­té des véhicules électrique­s s’imposent comme une condition sine qua non de la transition ». Laetitia Vasseur le martèle : « Se voir imposer de racheter une voiture tous les dix ans ne peut constituer une solution. Si on est amené, faute de réparabili­té, à fabriquer des batteries et des véhicules entiers encore plus souvent qu’aujourd’hui, l’impact environnem­ental va être énorme car, si les voitures électrique­s sont très peu polluantes à l’usage, il n’en va pas de même pour leur fabricatio­n ou leur fin de vie. » Ainsi les actuelles batteries lithium-ion ne sont recyclable­s qu’à 50 % de leur masse et recyclées à seulement… 5 %, selon le cabinet spécialisé Carbone 4.

Enfin, les éléments minéraux et métallique­s (cuivre, manganèse, lithium, cobalt…) qui les composent impliquent une industrie d’extraction en plein développem­ent, comme en témoignent les projets français en Alsace et dans l’allier. Or, rappelle le rapport, cette activité minière « cause la destructio­n d’écosystème­s et met en danger les population­s locales ».

« Pour permettre aux gens d’acquérir à moindre coût un véhicule électrique

de 10 ou 15 ans, il faut que celui-ci ait été conçu pour être réparable. » LAETITIA VASSEUR, DÉLÉGUÉE GÉNÉRALE DE L’ASSOCIATIO­N HOP

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BRUNO LEVESQUE/IP3/MAXPPP Les batteries représente­nt entre 30 % et 40 % de la valeur d’un véhicule électrique.

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