L'HUMANITE

Une chambre à soi à Copenhague

Après Enfance, les éditions Globe publient le deuxième volume du récit autobiogra­phique de la poétesse et écrivaine danoise Tove Ditlevsen.

- SOPHIE JOUBERT

Jeunesse. La Trilogie de Copenhague II, de Tove Ditlevsen, traduit du danois par Christine Berlioz et Laila Flink Thullesen, éditions Globe, 204 pages, 18 euros

Son oeuvre, publiée dans 36 pays, est devenue un phénomène éditorial. Redécouver­te et retraduite, elle fait écho auprès du public et d’une jeune génération d’écrivaines qui voient en elle une précurseur­e de la littératur­e autobiogra­phique contempora­ine. Poétesse et autrice de livres en prose, Tove Ditlevsen s’est donné la mort en 1976, à l’âge de 69 ans. Née en 1917 à Vesterbro, un quartier populaire de Copenhague, elle grandit dans une famille ouvrière où les livres tiennent une place importante et commence à écrire très jeune. À 18 ans, elle publie son premier poème dans une petite revue et, avec l’appui du rédacteur en chef, trouve une maison d’édition qui fait paraître son premier recueil.

Trente ans après la parution en France des deux premiers tomes de sa trilogie autobiogra­phique chez Stock, sous le titre Printemps précoce, les éditions Globe remettent en lumière cette oeuvre majeure dans une nouvelle traduction de Christine Berlioz et Laila Flink Thullesen. Enfance, récit des origines marqué par la violence de la mère, s’ouvrait sur les premiers pas à l’école de la petite Tove qui, avant 6 ans, savait déjà lire et écrire. Jeunesse commence le jour où, à 14 ans, elle est placée comme domestique. Un emploi qu’elle quitte au bout d’une seule journée après avoir abîmé le piano et surpris sa patronne sur les genoux d’un « oncle William » qui n’est manifestem­ent pas son frère. Consciente de vendre sa force de travail, l’adolescent­e, qui verse une partie de son salaire à ses parents, est ensuite employée dans une pension, puis occupe divers emplois de bureau sans jamais perdre de vue son désir d’écrire.

On trouve dans ce témoignage sur la vie quotidienn­e d’une aspirante écrivaine dans une Europe étranglée par la montée du nazisme la parfaite illustrati­on de la phrase de Virginia Woolf : « Une femme doit avoir de l’argent et une chambre à soi si elle souhaite pouvoir écrire des histoires. » Récit de formation, Jeunesse raconte dans un style simple mais avec beaucoup d’acuité l’entrée brutale dans le monde des adultes, l’initiation encouragée par des amies plus délurées, les amours bancales et les agressions sexuelles par des hommes tout-puissants. On a le sentiment, en lisant la prose limpide et sans détour de Tove Ditlevsen, de découvrir une soeur aînée des grandes figures de l’écriture de soi, de Goliarda Sapienza à Annie Ernaux. Une pionnière que ses origines sociales ne prédestina­ient pas à devenir écrivaine et dont l’obstinatio­n force le respect.

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Tove Ditlevsen (1917-1976).

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