L'HUMANITE

Post-partum, animal triste

Entre réalisme et étrangeté, Szilvia Molnar s’attaque au tabou de la souffrance des jeunes mères après l’accoucheme­nt.

- S. J.

Milk-bar, de Szilvia Molnar, traduit de l’anglais (États-unis) par Héloïse Esquié, Actes Sud, 224 pages, 22 euros

On peut avoir désiré être mère et, après l’accoucheme­nt, se sentir vidée de sa substance. Au point d’avoir des hallucinat­ions, des pulsions mortifères, d’avoir envie de secouer son bébé ou de le jeter par la fenêtre tant on est épuisée, tant on se sent enchaînée à un morceau de chair qui réclame sans cesse son dû. Premier roman de Szilvia Molnar, Milk-bar dissèque, de la manière la plus concrète et explicite, la dépression post-partum à travers le monologue d’une femme, traductric­e du suédois à New York. De retour de l’hôpital, elle est happée par la tristesse et l’isolement alors même que son mari

Elle se transforme en bar à lait et, entre deux tétées, erre, hagarde, entre le canapé et le frigo.

aimant la soutient. Dans la vie d’avant, elle pouvait passer toute une journée à chercher le mot juste, sortir flâner ou aller déguster un gâteau à la pâtisserie du coin. Le temps, désormais, ne lui appartient plus. Comme si ses facultés intellectu­elles avaient disparu, elle se transforme en milk-bar (bar à lait) et, entre deux tétées, erre, hagarde, entre le canapé et le frigo, l’enfant accroché à sa poitrine comme une extension de son corps.

À travers le flux de conscience de cette femme détachée d’elle-même, Szilvia Molnar ose décrire frontaleme­nt les chairs déchirées, les points de suture qui brûlent quand on urine, la poitrine gonflée par les montées de lait, le désir sexuel en berne. En contrepoin­t à ce réalisme cru, elle imagine les dialogues entre la jeune mère et son vieux voisin du dessus, Peter, récemment veuf, qui vient la visiter en traînant la bonbonne d’oxygène lui permettant de respirer. Leurs rencontres quotidienn­es et le souvenir d’agata, la femme de Peter, qui a voué sa vie à étudier les mousses, insufflent au roman une part d’étrangeté, d’onirisme, qui plonge la narratrice dans un halo cotonneux sans qu’on fasse vraiment la différence entre fantasme et réalité.

Née en Hongrie et élevée en Suède, Szilvia Molnar invente, pour nommer l’état indicible où se débat son personnage, un néologisme, « miffo », qui incarne ses pensées les plus sombres comme une sorte de mauvais génie. La figure d’une mère menaçante, qui a les traits de l’araignée de Louise Bourgeois, vient aussi hanter ce roman à l’humour affûté qui écorne les représenta­tions idylliques de la maternité.

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