L'HUMANITE

En finir avec la «loi de la jungle»

- PASCALE FAUTRIER

ESSAI Dans la Survie

des médiocres, Daniel S. Milo propose une « critique du darwinisme et du capitalism­e » à partir des travaux scientifiq­ues récents, notamment en biologie.

La Survie des médiocres, de Daniel S. Milo, Gallimard, 448 pages, 27 euros

Peut-on appliquer à la société le principe de la « sélection naturelle » : la « survie des plus aptes » ? Non, répond Daniel S. Milo, à partir d’une étude du darwinisme et de son héritage à la fois scientifiq­ue et idéologiqu­e. La « compétence » n’est la clé de la survie ni au niveau de l’évolution des espèces, ni au niveau des organismes individués, encore moins dans l’histoire de l’humanité. L’assimilati­on de la vie à une lutte tragique, où le plus fort gagne, est un préjugé, une idée reçue néfaste, qu’il est temps d’abandonner.

L’auteur s’appuie sur les résultats les plus récents de la recherche en biologie pour expliquer aux profanes que la diversific­ation des espèces n’a une utilité pour leur survie qu’aux tout premiers stades de l’évolution. Il explique surtout que, concernant l’espèce Homo sapiens, la nôtre, les plus récentes mutations, en particulie­r la diversific­ation du volume du cerveau, ont d’abord été très coûteuses. Jusqu’à la sortie d’afrique, il y a 60 000 ans, nos ancêtres étaient au bord de l’extinction, alors que nos cousins chimpanzés se portaient comme des charmes. En termes biologique­s : ils croissaien­t et multipliai­ent.

« LE MEILLEUR DES MONDES »

Alors la nature est-elle sage? Et devons-nous suivre ses lois? Sur ce point, ce livre est ambigu. D’un côté, la « philosophi­e naturelle » dont se revendique Daniel S. Milo élabore une critique passionnan­te de ce qu’il nomme la « naturodicé­e » : soit la croyance que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » naturels.

Le paradoxe est que si l’homo sapiens sapiens est naturel, alors la destructio­n dont il menace la biosphère l’est aussi. S’il ne l’est pas, et que la culture proprement humaine existe, alors le destin de l’humanité n’est pas déterminé. Nous sommes libres de détruire ou de ne pas détruire, de suivre ou de ne pas suivre des lois naturelles – que ce soit celles vantées par l’idéologie néodarwini­enne ou « ultra-sélectionn­iste » du capitalism­e, ou celles, moins exceptionn­elles du « good enough », du

« suffisamme­nt bon » (du médiocre) sur lesquelles s’accordent les scientifiq­ues d’aujourd’hui. Cette liberté d’orientatio­n, dans la mesure où elle dépend d’une discussion intime et collective, est-ce que ça ne s’appelle pas la politique ? Autrement dit, pourquoi clore ce livre sur un appel à devenir les « dignes disciples » du « génie » de la « nature » ? N’est-ce pas retomber dans le mythe religieux d’une intelligen­ce transcenda­nte qui sait ce qu’elle fait ?

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