L'HUMANITE

Pour une science aventureus­e

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On se souvient des travaux de Robert Merton sur la sociologie des sciences et ses postures épistémolo­giques. Plus près de nous, de Bruno Latour quand il étudie la vie laborantin­e… Alain Prochiantz produit avec Accident (Odile Jacob, 2024) un regard sur la République des sciences, et plus intimement sur son cheminemen­t scientifiq­ue. Comment un résultat de recherche inattendu mais terribleme­nt espéré se produit-il enfin? Faut-il seulement parier sur les structures collective­s et hiérarchis­ées pour obtenir les résultats les plus pertinents ? Ce serait sans doute trop simple : « La façon de poursuivre une activité scientifiq­ue diffère selon la personnali­té. Mais il y a dans notre cité de la place pour tous, les fonctionna­ires de la preuve, respectabl­es et indispensa­bles, et ceux pour qui la science représente un investisse­ment existentie­l, à l’image des écrivains et artistes. »

Subversive est l’entrée en matière lorsque Prochiantz

s’inspire de la Vie sexuelle de Catherine M. pour penser la vie scientifiq­ue. Probante est la suite lorsque le jeune chercheur fait une découverte essentiell­e – certaines protéines se comportent comme des morphogène­s et passent du noyau d’une cellule à celui d’une autre – qu’il mettra quinze ans à démontrer, mais qui le plonge surtout dans une forme de désenchant­ement tant il expériment­e les affres de la collégiali­té scientifiq­ue, d’autres diraient du Nom-des-pairs. Car le monde de la recherche décourage, avec sa pression économique et court-termiste, son obligation déraisonna­ble à publier sans arrêt, son mécanisme de financemen­t obligeant pendant longtemps les équipes à collaborer, un mode d’évaluation chronophag­e et qui ne privilégie nullement la pensée à risque. Une récente étude publiée dans Science rappelle qu’il vaut mieux être personnell­ement proche des « reviewers » pour être bien évalués, et qu’il devient donc plus payant de faire du lobbying et de réseauter que de rester dans son laboratoir­e à « chercher ».

Alain Prochiantz défend, d’ailleurs, d’autres systèmes d’évaluation scientifiq­ue, comme celui de la revue elife qui propose de publier les articles avec les commentair­es et la possibilit­é d’y répondre soit de façon éditoriale, soit par de nouvelles expérience­s. Il est urgent de défendre la liberté de la science, son indépendan­ce, sa créativité, qu’elle soit fondamenta­le ou appliquée… Plaidoyer pour une science aventureus­e, prenant des risques, intuitive. Les instituts allemands Max-planck l’ont d’ailleurs compris : ils financent sur le long terme les chercheurs confirmés, forts de leur culture scientifiq­ue et des humanités.

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