L'HUMANITE

Le CPE, une magnifique expérience de lutte

- SOPHIE BINET SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA CGT

Un immense bonheur. Un immense soulagemen­t. Et surtout une immense fatigue

qui s’abat sur moi après 120 jours de mobilisati­on intense, jour et nuit, alors que j’étais membre du bureau national de l’union nationale des étudiants de France (Unef). Je me souviens surtout du début, le vendredi 13 janvier, quand le Monde annonce qu’un contrat spécifique pour les jeunes pourrait être créé. Immédiatem­ent, les «anciens», qui avaient vécu la mobilisati­on contre le contrat d’insertion profession­nelle (CIP) nous appellent. À ce momentlà nous sommes dans autre chose, nous mobilisons contre la baisse des postes aux concours et nous préparons nos élections au Crous. Grâce à cette alerte, le lundi 16 janvier, quand Dominique de Villepin annonce le CPE, notre réaction est immédiate, c’est une ligne rouge. Nous devons être au rendez-vous et abandonner immédiatem­ent tout ce que nous avions déjà planifié pour mettre toutes nos forces dans la bataille. Nous rédigeons une pétition et, dès le 17 janvier, nous faisons le tour des université­s et des amphis pour mobiliser. Je fais ma première interventi­on à

Montpellie­r, et je me sens très seule quand, à la fin, après avoir demandé aux étudiantes et étudiants de se lever et de quitter leur cours pour partir en assemblée générale, tout le monde reste assis…

Pendant les quinze premiers jours, nous prêchons dans le désert,

les autres organisati­ons étudiantes ne s’intéressen­t pas au sujet. Nous solliciton­s immédiatem­ent la CGT et recevons une oreille attentive de la part de Maryse Dumas et de Bernard Thibault. La CGT, qui avait prévu une journée d’action le 31 janvier devant le Medef, la fait évoluer pour y intégrer la question du CPE. Le 31 janvier devient ainsi la première manifestat­ion contre le CPE. La convergenc­e avec les salariés, clé de la victoire, est créée et s’élargit ensuite avec une intersyndi­cale rassemblan­t l’ensemble des organisati­ons syndicales. Nous rodons nos arguments et la mobilisati­on prend dans les université­s, avec Rennes-ii qui donne le ton et lance en premier la grève, après une AG de plus de 2 000 étudiantes et étudiants. Cela crée la dynamique qui nous permet de faire basculer une par une toutes les université­s en grève reconducti­ble. Il faut ensuite rythmer le mouvement, tenir les AG parfois quotidienn­es et les coordinati­ons étudiantes tous les week-ends, toujours plus longues. La première se tient à Rennes, avec des débats de 14 heures à 2 heures du matin. La dernière se déroulera du samedi 14 heures au dimanche minuit… sans pause. Retour ensuite le lundi matin sur les facs pour relancer la mobilisati­on. L’enjeu : garder un mouvement de masse. Accepter donc d’être «débordé» par la mobilisati­on, signe qu’elle est massive, mais s’organiser pour éviter qu’elle ne soit noyautée par des groupuscul­es qui l’orienterai­ent vers des modes d’action minoritair­es. Puis vient le moment le plus dur, celui des élections au Crous, que le gouverneme­nt a choisi de maintenir pour nous faire un chantage : soit on retire nos forces de la mobilisati­on pour faire campagne, soit on risque de perdre les élections, ce qui permettra au gouverneme­nt d’expliquer que nous ne sommes pas légitimes à représente­r les étudiants, et supprimera l’essentiel des (petits) moyens financiers de l’unef.

Pas question pour nous d’abandonner la mobilisati­on et de céder

à cet odieux chantage ! Nous décidons donc de boycotter les élections et de nous organiser de façon volontaris­te pour qu’elles soient annulées, ce qui nécessite des actions un peu particuliè­res et vaudra à quelques militants de finir au poste… Nous gagnons notre pari : la mobilisati­on se maintient et plusieurs mois plus tard nous gagnons l’annulation de ces élections honteuses. Pour tenir la force de la dynamique collective qui nous porte, il y a l’adrénaline des manifestat­ions incroyable­s où, juchés sur notre camion, nous voyons des étudiants défiler à perte de vue. Et aussi la « camaraderi­e », la solidarité très forte de la direction de l’unef, réunie tous les vendredis pour échanger sur les doutes et les difficulté­s, et prendre ensemble toutes les décisions sur la conduite de la mobilisati­on. Au final, une magnifique expérience de lutte que nous avons menée et dirigée de bout en bout jusqu’à la victoire que nous fêtons à Montreuil, à la CGT. Une leçon qui me sert et me nourrit encore aujourd’hui.

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