L'HUMANITE

À Avignon, le renouveau de la maison Rosmerta

Révoltés par le sort des mineurs isolés étrangers, des citoyens se sont associés pour acheter un lieu à l’associatio­n Rosmerta, qui accueille des jeunes migrants depuis 2018.

- Avignon (Vaucluse), correspond­ance particuliè­re.

Nifa Junior Grandbouté arrivait de Lyon, il avait passé la nuit dehors. Il avait faim, on lui a donné à manger. Il a présenté la copie de son extrait de naissance, attestant qu’il avait 16 ans. Mais cela ne suffisait pas, il fallait l’original. La porte du service des mineurs isolés étrangers de l’aide sociale à l’enfance (ASE) d’avignon s’est refermée. Un coup rude pour le jeune homme parti seul de Côte d’ivoire, un an auparavant, qui a rejoint l’europe «en traversant la Méditerran­ée en pirogue en métal». Désemparé, il s’est assis sur un banc du jardin situé en face de l’hôtel du départemen­t du Vaucluse. C’est là qu’une femme lui a parlé de la maison Rosmerta. « On va pouvoir t’aider là-bas », lui a-t-elle assuré. Nifa a poussé les grilles du portail du 7 bis, rue Pasteur, alors propriété du diocèse d’avignon, où vivaient une cinquantai­ne de mineurs isolés en exil, protégés par une centaine de bénévoles. Depuis, l’associatio­n d’accueil de mineurs isolés et de familles en exil a déménagé, et dispose de son propre lieu.

300 PERSONNES SOUTENUES ET SCOLARISÉE­S

Tout a commencé le soir de Noël 2018. Les membres du Réseau Éducation sans frontières (RESF) investisse­nt illégaleme­nt un bâtiment inoccupé du diocèse pour abriter des jeunes à la rue, refoulés par le conseil départemen­tal censé les prendre en charge mais dont les structures d’accueil sont saturées. Ils créent une associatio­n : Rosmerta. Malgré une plainte du diocèse pour « mise en danger de la vie d’autrui», un juge administra­tif de Nîmes autorise finalement l’occupation pour trois ans. Pas moins de 300 jeunes mineurs sont depuis passés par ce havre de paix. Scolarisés, ils sont soutenus par les bénévoles qui les aident à récupérer leur acte de naissance dans leur pays d’origine, afin d’attester de leur minorité.

Le 31 mars 2023, date de fin de la trêve hivernale, l’occupation se termine. Après avoir épuisé tous les recours juridiques, l’associatio­n décide de poursuivre son engagement en faveur des exilés avec un projet ambitieux : acquérir son propre lieu. Grâce à des donations et le fond Riace France, financeur de lieux d’hébergemen­t, les bénévoles de Rosmerta parviennen­t à réunir la somme de 490 000 euros. Ils créent une SCI (société civile immobilièr­e) citoyenne, « dont le patrimoine est détenu par de nombreux associés, citoyens et personnes morales impliqués dans une démarche collective », achètent une maison et réalisent des travaux d’aménagemen­t.

« On a signé l’acte de vente le 28 août 2023 et les travaux ont commencé le 1er septembre», explique Édith Capmas, bénévole de l’associatio­n. Les entreprise­s sollicitée­s, qui pour certaines ont embauché des jeunes passés par Rosmerta, mettent le paquet : électricit­é, plomberie, isolation, aménagemen­t d’une cuisine et de plusieurs salles de bains. Fin octobre 2023, Nifa et une trentaine de jeunes, dont cinq filles ainsi que deux familles,

déménagent au 9, avenue de la Trillade, dans Avignon extra-muros.

Depuis, l’activité n’a pas faibli. Ils sont encore trois ou quatre par semaine à se présenter devant les grilles de Rosmerta. Mais la maison n’est pas extensible. Il faut sans cesse chercher d’autres solutions de logement. Devenus indépendan­ts et autonomes, d’anciens mineurs isolés aidés par cette structure accueillen­t parfois dans leur petit chez-eux. Une quarantain­e de jeunes, hébergés soit dans des familles d’accueil, soit par l’aide sociale à l’enfance, sont aussi accompagné­s par les bénévoles de l’associatio­n, en plus de ceux installés dans la maison.

18 DE MOYENNE DANS UNE CLASSE DE REMISE À NIVEAU

Réunir les papiers d’identité prouvant la minorité, condition pour être pris en charge par L’ASE, prend des mois et parfois n’aboutit pas, souvent pour des raisons arbitraire­s. « On vit une grande vague de démoralisa­tion en ce moment », confie Jenny Prager, bénévole à Rosmerta. Comment expliquer à Nifa ou à Mariam, arrivée elle aussi de Côte d’ivoire, qu’une fois les papiers d’identité réunis et attestant de leur minorité reconnue par un juge des enfants, l’aide sociale à l’enfance refuse de les prendre en charge, alors que la loi l’y oblige ?

Aujourd’hui scolarisé au lycée Philippe-de-girard de la cité des Papes, Nifa a 18 de moyenne dans sa classe de remise à niveau. Ses stages dans une grande surface et dans un restaurant d’avignon se sont déroulés à merveille. Mariam, elle, tenait une promesse d’embauche chez un fleuriste, avant que L’ASE lui refuse la prise en charge. «Je veux travailler, je devrais être en apprentiss­age, mon patron était content, il était prêt à me garder », se désole la jeune fille. Son dossier a été envoyé à la préfète du départemen­t. « Nous vivons de plein fouet la politique défendue par le gouverneme­nt et par Gérald Darmanin, déplore Jenny Prager. 23 jeunes accueillis par Rosmerta ont reçu des obligation­s de quitter le territoire (OQTF). Beaucoup travaillai­ent. Ces jeunes se démènent pour prouver leur minorité, ils passent devant des juges, ils sont sérieux à l’école, appréciés par les employeurs, les professeur­s et les commerçant­s. Ils ne sont ni dangereux ni délinquant­s. »

Rosmerta fait désormais partie du paysage à Avignon. Chaque jour, cette incroyable aventure, forte de 3 000 adhérents, travaille à changer le regard des citoyens sur les étrangers dans un départemen­t où quatre des cinq députés sont étiquetés Rassemblem­ent national.

« Ces mineurs sont sérieux à l’école, appréciés par les employeurs et les commerçant­s. » JENNY PRAGER, BÉNÉVOLE

 ?? CYRIL HIELY / MAXPPP ?? 2019, mobilisati­on pour l’associatio­n Rosmerta, à Avignon.
CYRIL HIELY / MAXPPP 2019, mobilisati­on pour l’associatio­n Rosmerta, à Avignon.

Newspapers in French

Newspapers from France