L'HUMANITE

«La désobéissa­nce civile fatigue le régime iranien»

Dans son nouveau documentai­re, Solène Chalvon-fioriti dépeint les jeunesses iraniennes à l’heure où le mouvement Femme ! Vie ! Liberté ! se poursuit vaille que vaille.

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARGOT BONNÉRY

DNous, jeunesse(s) d’iran – Voyage interdit au sein de la génération Z iranienne,

France 5, dimanche, 21 h 5

epuis l'assassinat de Mahsa (Zhina) Amini, orchestré par la police religieuse de Téhéran en septembre 2022, les jeunes Iraniens luttent contre l'oppresseur. Une théocratie brutale : beaucoup se font arrêter, torturer ou tuer. Après Afghanista­n : vivre en pays taliban (2021) et Afghane (2023), Solène Chalvonfio­riti revient avec ce nouveau documentai­re sur la jeunesse iranienne en pleine mutation. L'autrice et réalisatri­ce recueille la parole des moins de 25 ans, religieux ou non, pro-régime ou opposants politiques, à travers six récits. Un documentai­re éclairant qui nous plonge dans l'ère du numérique et des inégalités sociales.

Comment est né ce projet de filmer la jeunesse iranienne ?

Trois mots : Femme ! Vie ! Liberté ! J'ai beaucoup travaillé autour de l'afghanista­n, qui est un pays frontalier de l'iran. À la suite de la mort de Mahsa Amini, je me suis intéressée au mouvement féministe de ce pays. Quand on parle de l'iran, on pense au voile et aux droits des femmes.

Mais qu’est-ce qu’il y a d’autre derrière ? Quels sont les enjeux ?

J'ai voulu me pencher sur la jeunesse iranienne, notamment celle traditionn­elle sur laquelle je n'avais aucune informatio­n. En l'étudiant, ça m'a encore plus confortée sur la puissance de Femme ! Vie ! Liberté ! Toutes les personnes présentes dans le film condamnent la répression du régime. Certaines n'ont pas peur de dire qu'elles rejoignent le mouvement. Lorsqu'on lit les récits des prisonnièr­es iraniennes, toutes racontent qu'elles sont incarcérée­s aux côtés de femmes islamistes. Je pense aussi aux centaines de femmes en tchador dans les manifestat­ions écologiste­s qui militent aux côtés des libéraux.

La distinctio­n n'est plus entre traditionn­els et modernes. Désormais, la binarité est beaucoup plus forte entre ceux qui subissent la violence du régime et ceux qui détiennent tous les privilèges. En réalisant ce film, ça a été une véritable découverte. Entendre Sarah expliquer que ses ennemis ne sont pas uniquement les mollahs mais aussi les hommes en costard de son âge est très éclairant. Ils accaparent tous les postes et profitent des contacts de leur père.

Votre documentai­re est le premier en France à utiliser l’intelligen­ce artificiel­le. Pourquoi s’en servir ?

La technologi­e n'est pas forcément notre ennemi. Le sujet du film parle de cette jeunesse qui baigne dans le monde des avatars, des filtres, de la réflexion sur le réel et de la magnificat­ion des images. Utiliser la technologi­e pour parler de cette génération me semble cohérent. Et puis, la question de la sécurité s'est posée: il est beaucoup plus sûr de recourir à L'IA pour anonymiser les visages que de les flouter. Le flou peut facilement être enlevé grâce à des logiciels. Car lorsqu'une personne va en prison, elle est fichée et son visage reste dans les bases de données que le régime peut utiliser pour réaliser du tracking.

En Iran, un faible débit Internet et un contrôle strict sont imposés. S’informer devient illégal. La technologi­e est-elle une arme pour contourner le système ?

Après avoir mis le paquet sur l'éducation pour que le pays soit doté de bons ingénieurs et de scientifiq­ues, le régime se retrouve dépassé par cette génération. Dans le film, un garçon âgé de 9 ans prend des cours d'informatiq­ue dans un camp d'été et sait utiliser les technologi­es. Lors du tournage, ces jeunes nous ont même appris à utiliser certains outils informatiq­ues. En «Les ennemis de ces jeunes ne sont pas uniquement les mollahs mais aussi les hommes en costard de leur âge.»

Iran, la technologi­e devient une arme de contournem­ent dont tout le monde peut se servir: c'est une façon de prendre des itinéraire­s bis pour contourner la censure.

Le régime a arrêté un homme parce qu’il dansait dans la rue. Des femmes se font tuer car elles refusent de porter le voile. Chanter et faire la fête deviennent interdits…

Il y a une extraordin­aire résilience de la jeunesse iranienne. J'ai eu l'occasion de discuter avec des personnes qui ont subi des coups de fouet et qui ont passé plusieurs nuits en garde à vue pour avoir été surprises en train de boire de l'alcool. Et le lendemain, une fois libérées, elles refaisaien­t la fête. Au moment de l'affaire Mahsa Amini, des femmes journalist­es ont été arrêtées. Une fois sorties de prison, après plusieurs mois, elles n'ont toujours pas voulu porter le voile. Les Iraniens et Iraniennes vivent avec ça. Dans le documentai­re, un interviewé explique que cette désobéissa­nce civile fatigue le régime. Même s'il peut les écraser pendant des décennies, ces jeunes ne s'arrêtent pas. Le régime ne peut rien faire contre ce feu de braises, contre cette vitalité.

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Sarah (dont le visage est anonymisé par IA), une étudiante qui tient tête aux mollahs.
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SOLÈNE CHALVON-FIORITI Journalist­e, réalisatri­ce

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