L'HUMANITE

La paysanneri­e, des siècles de luttes

Stan Neumann propose une fresque sur l’histoire des paysans européens. Diffusé sur Arte, le documentai­re part de la chute de l’empire romain et va jusqu’à nos jours.

- TOM DEMARS-GRANJA

SLe Temps des paysans, Arte, 20 h 55

’intéresser à l’histoire des paysans revient à se pencher sur «le dernier des métiers». Mais aussi à s’intéresser au récit de vaincus empêchés de sortir du carcan qui leur était imposé. Le continent européen a été entièremen­t paysan pendant près d’un millénaire. Une époque où la moindre pénurie de céréales signifiait l’émergence d’une famine. Pourtant, l’histoire de la paysanneri­e reste brumeuse, teintée de persécutio­ns et d’ostracisat­ions.

Quatre ans après le Temps des ouvriers, le documentar­iste Stan Neumann revient sur cet oubli avec le Temps des paysans. En résulte une fresque de quatre heures où le réalisateu­r s’attaque au mythe qui voudrait que les paysans soient restés en marge des évolutions de la société. La faute à « l’alliance des élites urbaines, de la noblesse et de l’église» qui se sont approprié le récit, résume l’historien Tim Soens. « Ce qui est dangereux pour un citadin ambitieux, ce sont les ruraux ambitieux», ajoute-t-il. Pour éviter cet écueil, Stan Neumann s’est débarrassé de « la parole (des) puissants ». Le récit officiel reste ainsi à la marge et fait l’objet d’une critique précise.

UNE LECTURE MATÉRIALIS­TE

Par exemple, quand vient le moment d’analyser les oeuvres d’art – notamment les fresques et vitraux moyenâgeux, qui mettent en avant la paysanneri­e à travers les siècles, et dont le dénominate­ur commun est d’avoir construit la figure d’un paysan fruste, dangereux, misérable et mystérieux. « C’était une sorte de contrepoin­t aux révoltes, récurrente­s à cette époque. Or, les seigneurs contrôlaie­nt et commandaie­nt de l’art.» Les paysans ont pourtant appris à retourner cette image néfaste à leur avantage. L’historien Edward Lynch remarquait en particulie­r que « les paysans, durant le XXE siècle, se sont emparés de leur mauvaise image, une espèce de violence incontrôlé­e, pour l’utiliser comme une arme revendicat­ive». Dans un souci de proposer une lecture matérialis­te et systémique, le réalisateu­r multiplie les allers-retours entre le présent et le passé. Stan Neumann peut ainsi mettre en parallèle les problémati­ques contempora­ines (destructio­n de l’environnem­ent et hégémonie des grandes entreprise­s) et historique­s (multiplica­tion des famines et domination des seigneurs, des marchands, de la bourgeoisi­e).

Les difficulté­s soulevées par des paysans en 2023 trouvent alors un écho percutant avec les revendicat­ions des paysans bretons ayant manifesté en 1967 ou avec celles des paysans allemands s’étant soulevés en 1525. «Je ne me doutais pas que c’était à ce point convergent», se réjouit le documentar­iste. Arrière-petit-fils de l’un des fondateurs du Parti communiste tchécoslov­aque, Stan Neumann a commencé la production du Temps des paysans avec moins de connaissan­ces que sur l’histoire de la classe ouvrière. En ressort une grande attention au moindre plan et à la moindre informatio­n distillée au sein du récit. Plus qu’un simple réalisateu­r, Stan Neumann est aussi spectateur. Le documentai­re en tire une grande force.

« Ce qui est dangereux pour un citadin ambitieux, ce sont les ruraux ambitieux. »

TIM SOENS, HISTORIEN

 ?? ANDO GILARDI / FOTOTECA GILARDI / BRIDGEMAN IMAGES ?? Grèves victorieus­es des ouvriers agricoles à Ferrare, en Émilie-romagne (Italie), vers 1954.
ANDO GILARDI / FOTOTECA GILARDI / BRIDGEMAN IMAGES Grèves victorieus­es des ouvriers agricoles à Ferrare, en Émilie-romagne (Italie), vers 1954.

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