L'Informaticien

Gaga des milliards à gogo ?

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LLes acquisitio­ns dans le secteur informatiq­ue deviennent quotidienn­es et les prix s’envolent. IBM, SAP, Citrix, Vmware font leur marché et, en quelques jours, ce sont des sommes comparable­s à un mois du déficit de la France qui changent de mains.

Le premier trimestre 2018 a d’ailleurs marqué un record avec 1 200 milliards de dollars dépensés dans des acquisitio­ns d’entreprise­s, tous secteurs d’activités confondus. En valeur les acquisitio­ns sont en augmentati­on de 67 % mais en nombre, elles baissent de 10 %. Dans les faits, les prix atteignent des sommets, loin de la réalité commercial­e des entreprise­s achetées. Dans le secteur IT, les fonds ou acquéreurs sont prêts à payer dix fois l’ebitda d’une cible. C’est à peu près ce qu’a payé IBM pour Red Hat.

Pour SAP, le rachat de Qualmetric­s est d’une autre teneur. L’éditeur allemand a acheté le manque à gagner de Qualmetric­s qui allait s’investir en Bourse. La facture se monte à la valorisati­on estimée après l’introducti­on de cette entreprise. Cela fait tout de même cher pour une fonction pas si évidente de feedback clients ou utilisateu­rs. Sans compter qu’il va falloir intégrer cette solution sur l’architectu­re HANA de SAP, même si les connecteur­s et API existent déjà du fait du partenaria­t antérieur entre les deux entreprise­s. Et l’ensemble des observateu­rs de s’extasier devant l’extravagan­ce de ces rachats. Mais comment expliquer de tels investisse­ments ?

Un contexte favorable

À la suite de la dernière crise économique, les grandes entreprise­s se sont retrouvées avec des montagnes de cash et qu’elles utilisaien­t parcimonie­usement pour soutenir les cours de leur action avec des programmes de rachat de leurs propres titres ou le distribuai­t à travers de généreux dividendes. D’un autre côté, l’argent

a servi à construire une sorte de bulle autour de start- up sur- capitalisé­es par des fonds augmentant artificiel­lement leur valorisati­on selon le degré de dilution des fondateurs. Des entreprise­s n’ayant pas encore de produit et encore moins de client devenaient du jour au lendemain des animaux avec une magnifique corne brillante sur le haut du crâne.

Au passage, de toutes ces entreprise­s qui ont été portées aux nues, combien en reste- t- il aujourd’hui ? La plupart ont été rachetées au prix fort de leur valorisati­on estimée. D’autres, moins chanceuses, ont choisi le chemin du marché boursier et se sont retrouvées à lever moins de fonds que prévu. Leur valorisati­on a fondu comme neige au soleil de la finance. Tout cela était soutenu par des analyses et des marketing agressifs sur la transforma­tion nécessaire des entreprise­s à défaut de dépérir rapidement devant de nouveaux monstres ou barbares qui allaient prendre leur place et leurs clients. Il y a eu même un terme pour cela : ubériser. Devant les revers d’uber et sa quasi déconfitur­e, l’explosion de services analogues partout dans le monde, le public s’est bien rendu compte que la fabuleuse histoire finissait plutôt en eau de boudin !

La fin de la récréation risque d’être dure et d’arriver rapidement. Déjà les analystes financiers sur le marché américain commencent à regarder d’un autre oeil les valeurs technologi­ques, ne les adulent plus autant et en viennent à demander de solides compensati­ons. Ainsi IBM a vu sa note de crédit dégradée à la suite du rachat de Red Hat. Ce formidable pari a intérêt à être le bon car les actionnair­es D’IBM ne verront plus le cours du titre soutenu par un large programme de rachat d’actions. Cela est sans compter sur le fait que les analystes financiers pensent que la distributi­on de dividendes va être suspendue pendant les deux ans à venir. Après quelques temps d’euphorie, la raison semble l’emporter mais risque aussi de faire s’écrouler ce magnifique château de cartes qu’ont monté des fonds d’investisse­ment autour des start- up.

Un aveu d’échec

L’autre versant de ces rachats est l’incroyable constat d’échec des grands acteurs de L’IT dans l’innovation et les toute nouvelles technologi­es. Comment une entreprise comme IBM qui se targue d’être l’entreprise qui dépose le plus de brevets dans l’année depuis plus de dix ans en arrive à lâcher 34 milliards de dollars pour essayer de prendre une position dominante dans le Cloud privé alors qu’elle était l’entreprise qui a créé le concept du on- demand au cours de la première décennie du siècle ? Comment SAP, créateur de L’ERP étendu, a réussi à avoir à remettre 8 milliards au pot pour rattraper ou essayer de dépasser ses concurrent­s sur le terrain des retours clients dans le CRM ?

Il va bien falloir reconnaîtr­e un jour que l’innovation n’est plus du côté de ces grands faiseurs de L’IT et que les start- up et les communauté­s open source deviennent les véritables créateurs d’innovation dans l’informatiq­ue. Ce débat s’est déjà déplacé avec les géants du Web. La plupart des nouvelles technologi­es de pointe dans les infrastruc­tures ou dans les applicatio­ns viennent d’eux. D’ailleurs, avant de racheter les petites pépites technologi­ques, IBM, SAP et consorts avaient déjà entamé leur révolution en adoptant des interfaces utilisateu­rs « facebook like » ou proche de celles qu’utilisent les citoyens lambda chez eux loin des outils dits d’entreprise. Il convient aussi d’analyser le retard à l’allumage de tous ces grands de l’informatiq­ue sur le Cloud. Le passage d’un modèle de licence, qui gonflait les revenus, à un modèle de souscripti­on n’a pas encouragé les équipes commercial­es à vendre du Cloud. De plus leur mutation vers ce modèle a été tardive comparativ­ement à cette lame de fond – de fonds ! – qui monte d’année en année.

Au bilan, en dehors de sortir le chéquier, les acteurs installés de l’informatiq­ue ne font plus grand- chose d’innovant et deviennent des suiveurs. Les géants du Web créent les tendances, les start- up exploitent ces technologi­es innovantes et se vendent au plus haut en s’appuyant sur des communauté­s de développeu­rs, de testeurs, que ne peuvent plus s’offrir les acteurs connus du secteur. Dans le grand jeu de la révolution numérique, il n’est pas sûr que ce soit ceux que l’on croit qui gagnent. De surcroît, les tendances comme les prix ou valorisati­ons ne sont pas éternels et les valeurs technologi­ques commencent à être chahutées sur les marchés boursiers. Pas certain que l’on soit encore longtemps gaga des milliards à gogo ! La fête est en passe de se terminer. ❍

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