L'Informaticien

« Si les entreprise­s reçoivent des données personnell­es depuis le Royaume- Uni, la libre circulatio­n des données vers L’UE resterait inchangée »

Sabine Marcellin, avocate fondatrice du cabinet Aurore Legal, spécialisé­e en droit du numérique, a bien voulu répondre à nos questions sur les conséquenc­es d’un hard Brexit pour l’industrie IT.

- PROPOS RECUEILLIS PAR J. C.

Dans un contexte d’incertitud­es autour du Brexit, quels sont les risques liés à la vente de logiciels et de services numériques entre le Royaume- Uni et le Continent ?

Sabine Marcellin : Les industries numériques britanniqu­es et de L’UE sont fortement interconne­ctées. Les entreprise­s britanniqu­es ont exporté, en 2017, plus de 10 milliards d’euros de biens du secteur numérique. La même année, L’UE a fourni à la Grande- Bretagne plus de 15 milliards d’euros dans ce secteur.

Un Brexit sans accord ferait courir des risques pour le secteur high- tech britanniqu­e, mais également pour les entreprise­s du Continent. Les règles juridiques et fiscales seraient grandement modifiées. En matière de propriété intellectu­elle, les logiciels sont le plus souvent protégés par le régime des droits d’auteur. Le Royaume- Uni est, à ce jour, non seulement soumis aux directives et règlements européens, mais également aux interpréta­tions de la Cour de justice de l’union Européenne ( CJUE). Par ailleurs, les brevets, marques et modèles ne seraient plus soumis aux règles européenne­s.

Une sortie de L’UE créerait une incertitud­e quant à l’évolution de ces règles, même si Londres a ratifié un certain nombre de convention­s internatio­nales. En l’absence d’accord, les obligation­s fiscales seront modifiées, notamment

en matière de TVA et de dépenses dans la recherche. De plus, le retour des formalités douanières imposerait des déclaratio­ns d’importatio­n/ exportatio­n et des procédures de transit des marchandis­es. Plus largement, tous les contrats de licences et services passés entre les entreprise­s françaises et britanniqu­es resteraien­t valides, mais il serait nécessaire de renégocier certaines clauses pour se conformer aux nouvelles exigences de la législatio­n britanniqu­e. Il est indispensa­ble que les entreprise­s auditent les contrats concernés, pour estimer les risques et préparer les avenants adaptés.

Les transferts de données vers l’autre côté de la Manche sont couverts par le droit de L’UE, mais, en cas de sortie et d’absence pour l’heure d’accords bilatéraux, comment cela va- t- il se passer ? Sous quel régime vont pouvoir se faire ces transferts ?

S. M. : Pour les entreprise­s qui réalisent des activités intégrant des flux de données personnell­es vers un responsabl­e de traitement ou sous- traitant au Royaume- Uni, l’environnem­ent juridique serait modifié. Jusqu’ici, c’était la réglementa­tion générale sur la protection des données ( RGPD) qui prévalait. En cas de Brexit sans accord, les entreprise­s françaises doivent s’assurer de la continuité de conformité de leurs traitement­s. Pour cela, elles doivent identifier les transferts et déterminer l’outil de transfert le plus adapté. Les outils de transfert sont les mécanismes juridiques prévus par le RGPD et permettant d’encadrer les transferts hors de l’union. Il existe notamment les clauses contractue­lles types ( modèles de contrat établis par la Commission européenne), les binding corporate rules ( ou règles contraigna­ntes d’entreprise­s applicable­s à la protection intragroup­e). Il est possible aussi de recourir aux codes de conduite et aux mécanismes de certificat­ion, ces deux outils devant être préalablem­ent autorisés par la Cnil. Sauf dérogation­s, ces outils de transfert devraient être mis en place au 1er novembre 2019. Si les entreprise­s reçoivent des données personnell­es depuis le Royaume- Uni, la libre circulatio­n des données vers L’UE resterait inchangée.

Quels autres problèmes peuvent rencontrer les entreprise­s françaises qui ont des filiales et des clients outre- Manche ?

S. M. : Au- delà des aspects juridiques et fiscaux évoqués, les entreprise­s doivent examiner l’ensemble des impacts économique­s et ces questions sont complexes. Pour permettre la continuité d’activité, de manière temporaire, des personnes physiques et morales britanniqu­es installées en France, le législateu­r français a adopté l’ordonnance du 7 février 2019 relative à l’activité profession­nelle. Cependant, en l’absence d’accord spécifique aux activités outre- Manche des sociétés françaises, les relations commercial­es avec la Grande- Bretagne seraient régies par le cadre général de L’OMC. L’inflation des formalités administra­tives et l’incertitud­e réglementa­ire devraient engendrer des coûts pour poursuivre les activités outre- Manche. Certaines entreprise­s ont créé la fonction de Chief Brexit Officer pour gérer cette rupture en mode projet. ✖

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