Rencontre avec Sid Sijbrandij, CEO et co- fondateur de Gitlab
Sid Sijbrandij, CEO et co- fondateur de Gitlab
Deux semaines après une première conférence à Boston, lors de laquelle a été annoncée une levée de 268 millions de dollars, Gitlab organisait le 9 octobre à Londres son événement européen Commit. Trois cents développeurs et partenaires ont assisté à la présentation des dernières nouveautés de ce que Sid Sijbrandij, son CEO et co- fondateur, présente comme une Plateforme Devops livrée en une seule application. Entendre par là que Gitlab entend réunir en son sein tous les outils nécessaires au cycle de vie d’une application.
L’informaticien : Gitlab a récemment levé 268 millions de dollars et a fait part de son intention d’entrer en Bourse. Comment expliquez- vous cet intérêt des investisseurs ?
Sid Sijbrandij : D’une part, nos clients existants ont dépensé 50 % de plus sur notre plate- forme par rapport à l’an dernier, ce qui indique que nous répondons à leurs besoins. De l’autre, nous continuons à recruter de nouveaux clients. Dans la zone EMEA, nous constatons une forte croissance de l’adoption de Gitlab, en particulier dans des pays tels que la France et l’allemagne : 42 % de nos clients aujourd’hui sont en Europe. En effet, les entreprises y ont ce souci de garder le contrôle sur leurs données, qu’elles restent sur le sol de L’UE. En conséquence de nombreuses entreprises voient notre indépendance comme une garantie. Autre chose, le Devops prend de plus en plus d’importance : IDC estime que ses revenus passeront de 5 milliards de dollars l’an dernier à 15 milliards en 2023. Or nous sommes sur ce marché les seuls indépendants à proposer une plate- forme Devops « delivered as a single application » . Ce que ne manque pas de constater les investisseurs.
L’indépendance est- elle la raison de vos envies D’IPO ?
❚ Il y a plusieurs raisons à cela. Nous espérons qu’entrer en Bourse nous apportera plus de visibilité. Quand bien même Gitlab est utilisé dans de nombreuses organisations, jusqu’à présent nous n’avons pas été capables de transformer cela en « awareness » au niveau des directions. Nous comptons donc sur L’IPO pour nous offrir cette visibilité. Mais effectivement nous, en tant qu’entreprise, voulons
demeurer indépendants. Mais pour des questions de liquidité et par rapport à nos investisseurs, entre être racheté et entrer en Bourse, nous préférons la seconde option.
Puisqu’il est question d’indépendance, Github a été racheté l’an dernier par Microsoft, qui y investit d’importants moyens pour le développer, notamment par des acquisitions – Semmle ou encore Pullpanda. Comment cette opération redessine- t- elle les contours de votre marché ?
❚ Je pense que Gitlab et Github vont être en concurrence sur ce marché. Nous étions leader et sommes toujours en tête sur le terrain du devops et je pense que jusqu’à récemment, Github misait sur leur marketplace. Désormais, on les voit se lancer dans le CI [ Continuous Integration] ou encore dans le packaging donc je dirai qu’ils essaient de nous suivre aussi vite qu’ils le peuvent. À l’inverse, Github compte un plus grand nombre d’utilisateurs et nous tentons de les suivre sur ce terrain- là, d’accélérer dans notre recrutement de nouveaux utilisateurs. Quant au reste du secteur, je pense qu’il est loin derrière nous deux.
Justement, longtemps Github a été orienté Dev quand Gitlab était associé au Devops. Mais avec l’annonce récente de Github Actions, votre concurrent vient marcher sur vos plates- bandes. Quelle est votre stratégie pour vous maintenir en tête de la course ?
❚ Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire dans les domaines du CI/ CD [ Continuous Integration et Continuous Delivery]. Notre produit a de l’avance et nous essayons de le rester, mais aussi et surtout nous entendons être leader dans de nouvelles catégories. Par exemple, nous pensons qu’il faut faire CI/ CD proprement, sans faire du monitoring une partie intégrante du cycle de vie. Or les développeurs n’ont pas envie de « baby- sitter » leurs déploiements et souhaitent que le logiciel prenne en charge cette partie. Donc nous avons conçu des fonctionnalités qui les assure que, si le déploiement progressif rencontre un problème, Gitlab le détecte et le signale automatiquement. Nous investissons également dans les métriques de productivité tout au long du cycle de vie. De même, du côté des fonctionnalités de sécurité, nous nous positionnons dans la sécurité des réseaux avec Defend. Nous voulons continuer à élargir la portée de notre plate- forme car, in fine, tout doit faire en sorte que les applications livrées soient fiables et stables.
Votre plate- forme est open source et vous accordez une grande importance au logiciel libre.
En quoi ce modèle est- il plus efficace à vos yeux ?
❚ L’open Source a changé le logiciel de deux façons. D’abord, c’est un mécanisme de distribution plus efficace. Ensuite, un autre bénéfice de l’open Source est la co- création. Ces six derniers mois, le nombre de contributions de la communauté a doublé. Chaque mois, ce sont désormais deux cents améliorations de notre plate- forme qui proviennent de gens qui ne travaillent pas à Gitlab. Nous pensons que c’est un véritable super- pouvoir, certes parce que la plate- forme s’améliore ainsi très rapidement mais aussi, dans le cas où vous êtes un utilisateur et qu’il vous manque quelque chose qui est essentiel à votre activité, vous pouvez l’ajouter, ou même faire un programme formel autour de cette fonctionnalité manquante.
À votre roadmap figure une dimension Paas qui s’appuiera sur Kubernetes ( en l’occurrence Knative) pour orchestrer des applications indépendamment de l’infrastructure sous- jacente. Le « multicloud » , c’est une réalité pour vous aussi ?
❚ C’est une évidence, les entreprises ont aujourd’hui recours à de multiples Clouds. Mais dans cette situation, comment s’assurer de la constance de la sécurité, de la productivité ? Comment faire en sorte que mes équipes puissent passer d’une infrastructure à une autre sans avoir à être de nouveau formées ? La réponse à ces questions, c’est le Devops. Si votre déploiement dépend de l’outillage d’un fournisseur de Cloud, vous devrez déployer d’une autre manière, soit recoder votre application, dès que vous passez à un autre Cloud. Si vous dépendez des fonctionnalités de sécurité d’un Cloud, lorsque vous basculez des applications existantes ou déployez une nouvelle application sur un autre Cloud, vous devez relocaliser vos processus de sécurité. Si vous mesurez la productivité en fonction d’un Cloud et que vos collaborateurs travaillent sur plusieurs nuages, vous n’aurez pas une vue complète. Je pense que les gens veulent séparer le Cloud qu’ils utilisent et la façon de déployer et veulent que leurs processus soient cohérents, peu importe le Cloud qu’ils utilisent. Gitlab est le partenaire naturel pour ça, indépendant de tout fournisseur de Cloud, on ne vous force pas à utiliser un Cloud ou un framework ou des outils en particulier et on s’assure de vous fournir la flexibilité nécessaire, lorsque vous développez une application, à la déployer sur l’infrastructure que vous estimez la plus appropriée. C’est le sens de notre approche : nous avons évolué vers une plateforme couvrant tout le cycle du Devops, du dépôt et de la compilation de code source au packaging, à la configuration et au CI/ CD, en passant par le monitoring, les métriques de productivité ou encore la sécurité, et ce indépendamment du Cloud que vous utilisez.
Pour finir, quelles sont selon vous les trois grandes tendances du Devops dans les prochaines années ?
❚ Pour commencer, le multicloud et la gestion des workflows. Ensuite une attention accrue sur la sécurité, c’est déjà un vrai sujet mais il va continuer à grandir et à prendre de l’importance. Enfin, la montée en puissance de Kubernetes, qui aide réellement les utilisateurs à délivrer progressivement leurs fonctionnalités et facilite le passage d’une réflexion basée sur le serveur ou la machine virtuelle à une approche centrée sur les applications. ✖