Formations au numérique : l’alternance en période d’essai
Avec un fossé toujours plus conséquent entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi dans le numérique, l’alternance commence à être perçue comme une potentielle issue par les entreprises françaises. Des initiatives naissent mais plusieurs usages doivent encore être intégrés.
C’ est un fait, le secteur numérique français peine à recruter. Avec 80 000 postes vacants selon la Direction de l’animation de la recherche des études et des statistiques ( Dares), ce sont notamment les profils les plus techniques qui manquent à l’appel. Pour combler ce fossé entre l’offre et la demande, l’alternance semble être un moyen de plus en plus privilégié par les entreprises. Pourtant, si l’on en croit le dernier rapport en date de la Dares sur le sujet, les métiers de l’informatique ne représentaient, en 2017, que 2,1 % des entrées en contrat d’apprentissage. Un chiffre à nuancer si on le confronte à ceux de secteurs pour lesquels l’alternance fait partie intégrante du processus de formation ( agroalimentaire, mécanique…), mais qui en dit long sur la vision encore un peu trop réductrice que peut avoir une partie de l’industrie sur cette pratique. Implanté en Île- de- France, le Centre de formation des apprentis ( CFA) Avia a vu évoluer ce rapport à l’alternance dans L’IT depuis sa création en 1992. « C’est en train de changer, mais tout doucement » , commente Aurélia Azevedo, chargée de communication du CFA. Selon elle, plusieurs freins ont ralenti le développement de l’apprentissage dans les entreprises. « D’abord, c’est un dispositif qui est souvent connoté comme s’adressant uniquement à des jeunes en difficulté. Quand le gouvernement fait des spots publicitaires, on voit généralement des métiers manuels : une femme de chambre, un mécano, un pâtissier… Ce n’est que très récemment qu’on a commencé à montrer, par exemple, des ingénieurs. »
Un mal très français donc, là où, en Suisse ou en Allemagne, l’apprentissage est perçu comme un véritable levier, au point d’être proposé dès le collège. Résultat : en 2016, le nombre d’alternants outre- Rhin était trois fois supérieur au nôtre, pour un taux de chômage chez les jeunes trois fois inférieur. « En outre, une récente étude a démontré que les salariés français étaient parmi les moins impliqués dans leur entreprise en Europe » , poursuit Mme Azevedo, « on a donc parfois des sociétés qui nous sollicitent pour prendre un jeune en alternance, qui font le recrutement, mais qui jettent l’éponge au dernier moment parce qu’aucun employé ne s’est dévoué pour être maître d’apprentissage. » À ces deux problématiques s’ajoute celle de la sensibilité de certains métiers, notamment dans la sécurité, pouvant difficilement être confiés à un junior en formation.
11 343 apprentis dans L’IT en 2018
Mais la situation semble s’améliorer. En 2018, 11 343 contrats de professionnalisation ont été signés dans le secteur, soit une hausse de 23 % par rapport à l’année précédente selon les chiffres recueillis par l’association Talents du numérique. Des initiatives naissent ça et là pour contribuer au développement de l’alternance dans les métiers les plus techniques. Certaines entreprises misent sur des classes virtuelles dédiées à l’enseignement de leurs propres méthodes de travail, en amont de l’arrivée de l’alternant. C’est par exemple le cas d’axa, qui a intégré une douzaine d’étudiants en master 1 à son
programme dans le cadre d’un partenariat avec L’EPSI Lille. Chez Atos, les apprentis représentent 3 à 5 % des effectifs français, avec un objectif clair : « embaucher 100 % des bons profils à la fin de leurs études » , selon Laurence Poilfoulot, responsable des relations écoles de L’ESN. « Nous parrainons des promotions et disposons d’une équipe de huit personnes dédiée à l’animation de notre réseau Campus, car les enjeux d’attractivité sont énormes. »
Ces enjeux « énormes » induisent cependant un nouveau risque : reproduire le schéma du marché du travail, avec une offre bien supérieure à la demande. Car si l’alternance peut permettre à une entreprise de combler ses besoins, encore faut- il qu’elle accepte d’accueillir un jeune pas forcément opérationnel tout de suite. Ce type de problème se pose surtout aux entreprises de taille réduite, dont les arguments d’attraction sont bien différents des très gros moyens déployés par Axa ou Atos. « Les formations ne remplissent pas toujours nos besoins » , observe Olivier Martineau, directeur de Spread, une start- up basée dans les environs de Rouen. « On n’a pas d’autres choix que d’être exigeants sur les profils que l’on recrute, surtout dans le développement web, tout simplement parce qu’il n’y a pas grandchose de facile à faire » , explique- t- il.
Savoir au moins coder proprement
Un constat que partage le président du réseau d’écoles Webforce 3, Alain Assouline : « dans certains métiers, on peut engager un apprenti qui au départ ne sait rien faire mais qui va monter en compétences petit à petit. Dans le numérique, quelqu’un qui ne sait pas au moins coder proprement, que va- t- il faire pendant ses six premiers mois dans l’entreprise ? » Pour ce membre de CINOV IT, le syndicat des TPE et PME du numérique, la clé pour résoudre cette équation prend la forme d’une « préparation opérationnelle à l’apprentissage » , intégrée très tôt dans les différents cursus. Un dispositif que Webforce 3 s’apprête lui- même à expérimenter avec l’ouverture, au cours du mois de janvier, de plusieurs formations à Paris, Lyon et Marseille. Le principe ? Trois mois de cours intensifs suivis d’une alternance de neuf mois. Un moyen, selon M. Assouline, de permettre à des jeunes de tenter leur chance en dehors de la règle du Bac+ 5 minimum !, qui s’est imposée au sein des entreprises ces dernières années.
Reste un problème de centralisation, que l’on ne retrouve malheureusement pas que dans le domaine de L’IT. Si beaucoup de formations spécialisées sont nées ces dernières années un peu partout en France, la plupart des embauches se font encore majoritairement dans les grandes villes, principalement sur Paris. Ce constat se répercute logiquement sur l’apprentissage. Lola*, qui a suivi une alternance en tant que développeuse dans le sud- est de la France entre 2016 et 2017, a ainsi dû batailler pour trouver une entreprise acceptant de la recevoir. Des difficultés géographiques auxquelles peuvent parfois s’ajouter des déboires sur le plan humain : « une fois dans l’entreprise, je me suis rendue compte que le client avec qui je travaillais était sexiste » , détaille- telle, « il ne voulait même pas me prendre au téléphone. » Autour d’elle, des alternants ont été mis au placard, d’autres ont été présentés aux clients comme des employés à part entière, avec la pression que cela implique. Des expériences désagréables qui n’empêchent pas la jeune femme d’avoir « beaucoup appris sur la vie et le rythme de travail en entreprise » , mais qui mettent aussi en exergue le besoin urgent d’un plus grand contrôle quant à la gestion humaine du dispositif. ✖
« Trois mois intensifs suivis d’une alternance de neuf mois permettent de tenter sa chance en dehors de la règle du Bac+ 5 minimum ! »
Alain Assouline, président du réseau d’écoles Webforce 3.