L'Informaticien

Cloud Act : la « loi du Far West »

- CHRISTOPHE GUILLEMIN

Le « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act » ou Cloud Act est une loi fédérale américaine adoptée en 2018 sous l’administra­tion Trump. Elle permet aux autorités américaine­s d’accéder à des données, dont des données personnell­es, dans le cadre de leur procédure, en en faisant la demande auprès de fournisseu­rs de services, notamment cloud. Ses promoteurs y voient un cadre juridique pour une pratique de toute façon existante ; ses détracteur­s, une porte ouverte au non- respect de la vie privée ou à l’espionnage industriel. Car le Cloud Act peut être invoqué sans aucune transparen­ce sur la collecte et l’exploitati­on de données. Un juge n’est pas tenu d’informer les personnes concernées, ni de fournir des informatio­ns sur l’hébergemen­t, l’utilisatio­n et la sécurisati­on des données. « Le Cloud Act pose de nombreux problèmes. Il entre en conflit avec le RGPD et ne permet aucun recours, puisque son exploitati­on est totalement opaque » , déplore Alexandra Iteanu, avocate spécialisé­e dans L’IT. Comment être certain qu’un cloud provider, même français, n’est pas soumis à cette législatio­n ? « Il ne faut pas avoir son siège aux États- Unis, mais pas non plus de filiales sur place qui pourraient servir à capter des données en dehors du sol américain. Un acteur français qui possède une ou plusieurs entités aux États- Unis doit donc garantir qu’elles sont totalement cloisonnée­s techniquem­ent et juridiquem­ent. » Il n’existe pas, à ce jour, de cas public d’exploitati­on du Cloud Act. « Mais il y a des chances que le texte ait été utilisé. Nous n’avons cependant aucun moyen de le savoir » , conclut Alexandra Iteanu.

gagner du temps que le choix s’est porté sur Microsoft. Car, d’après la direction du Health Data Hub, seul Microsoft était prêt à l’époque. « C’était le seul choix possible, au regard de nos attentes techniques et juridiques » , indique Stéphanie Combes. D’où le fait qu’aucun appel d’offres n’ait été lancé, car seule la firme de Redmond aurait rempli tous les critères. « Techniquem­ent, Microsoft proposait les meilleurs outils managés et était le seul à être certifié HDS, ou Hébergeurs de données de santé, notamment au niveau des GPU » , rappelle pour sa part Stéphane Messika.

Un point de vue que ne partage pas le CNLL ( Conseil National du Logiciel Libre) qui a attaqué la Health Data Hub devant le Conseil d’état, début juin, avec une quinzaine d’autres organisati­ons et personnali­tés, dont le collectif Interhop, Jean- Paul Smets chez Nexedi ou le médecin Didier Sicard : « Pourquoi ne pas avoir attendu quelques

mois afin qu’un ou plusieurs acteurs français puissent se positionne­r ? Microsoft était un choix facile, avec des solutions sur étagère, mais il est soumis au Cloud Act et cela pose tout de même un grave problème de souveraine­té des données » , estime Pierre Baudracco, co- président du CNLL et CEO de la société Bluemind. Rappelons que le Cloud Act permet à une juridictio­n américaine de collecter des données personnell­es sur des suspects, sans aucune transparen­ce sur l’exploitati­on de ces données ( lire encadré). Autre problémati­que soulevée par les requérants, le projet n’intègre pas que la fourniture d’une plate- forme cloud « mais aussi une cinquantai­ne de services managés sur Azure, dont on ne connaît pas précisémen­t la nature et qui posent la question de la réversibil­ité de la plate- forme. Comment changer de prestatair­e si celle- ci a été construite sur des technologi­es Microsoft ? » , pointe pour sa part Stéphane Fermingier, autre co- président du CNLL et CEO d’abilian. Pour Jean- Paul Smets, président de Nexidi, des alternativ­es étaient possibles : « Nous leur avons écrit pour leur dire que des technologi­es open- source étaient disponible­s afin de construire la plate- forme. Et nous aurions pu répondre à un appel d’offres en nous rapprochan­t d’un Cloud provider. Mais nous n’avons eu aucune réponse. Le pire, c’est que toutes les technologi­es du type de celles utilisées sur Azure viennent de Français, comme Scikitlear­n, une bibliothèq­ue libre D’IA qui a été développée par l’inria. C’est une négation des compétence­s françaises. » Le choix de Microsoft a également fait sortir de ses gonds Octave Klaba, le dirigeant D’OVH : « C’est la peur de faire confiance aux acteurs français de l’écosystème qui motive ce type de décision. La solution existe toujours. Le lobbying de la religion Microsoft arrive à faire croire le contraire. C’est un combat. On va continuer et un jour on gagnera » , a- t- il déclaré sur Twitter. Le 19 juin, le Conseil d’état a rendu une décision mitigée, qui est loin

d’avoir calmé les esprits. En résumé, la plus haute juridictio­n administra­tive française a estimé que le choix de Microsoft ne présentait pas de risques pour la protection des données privées. Il a cependant demandé au Health Data Hub de fournir de plus amples informatio­ns à la Cnil sur ses systèmes de pseudonymi­sation et de protection des données. « Cette décision conforte le fait que la plate- forme technologi­que ne constitue pas un risque pour la vie privée des personnes » , se félicite Stéphanie Combes. « C’est une victoire car plusieurs contre- vérités, portées par le Health Data Hub, ont été mises en lumière » , souligne pour sa part Stéphane Fermigier. « Par exemple : nous avons appris que les données ne sont pas hébergées en France mais aux Pays- Bas. Par ailleurs, Microsoft peut avoir accès aux clés de chiffremen­t. » Dans l’autre camp, on rétorque vouloir une localisati­on des données en Europe. « Et c’est le cas ! » , indique Stéphane Messika. Concernant les clés de chiffremen­t, « elles sont générées via un HSM, ou Hardware Security Module, externe et transmises à un HSM interne sur la plate- forme Azure de Microsoft. Le déchiffrem­ent des clés est automatisé, il n’y a donc aucune interventi­on d’un administra­teur de Microsoft dans cette opération. Et dans son contrat, Microsoft a l’interdicti­on d’utiliser ces clés » , indique la direction du Health Data Hub. Sur les risques du Cloud Act, c’est une loi très spécifique qui permet de « réquisitio­nner des données nominative­s, à des fins d’enquête, et pas une base de données complète. Or, nous n’avons pas les données nominative­s des patients. Elles arrivent déjà pseudonymi­sées dans la plate- forme » . Enfin, sur la nature des cinquante services cloud associés à l’offre d’hébergemen­t Azure, ils couvrent notamment « la virtualisa­tion de machines, la structurat­ion des espaces de stockage, le déclenchem­ent d’événements sur la plate- forme ou le transport des messages » , indique la

Health Data Hub. Environ quarante de ces services sont fournis par Microsoft et dix sont externalis­és. « Nous travaillon­s avec une dizaine de fournisseu­rs pour ces services, dont Wallix, éditeur français de logiciels de sécurité informatiq­ue, ou CDC Arkhinéo, spécialist­e de l’archivage et de la conservati­on à long terme des données électroniq­ues » .

Dans ces conditions comment est- il possible de changer de prestatair­e ? « Le choix de Microsoft a permis à la plateforme une mise en production rapide, en moins de douze mois. Le moment venu, il sera possible de changer de prestatair­e, car la plate- forme technologi­que est conçue pour être réversible. En effet, nous utilisons la technologi­e Terraform pour scripter au maximum les travaux d’intégratio­n et de déploiemen­t dans une logique Infrastruc­ture As Code. Le contrat passé avec Microsoft ne prévoit aucune clause d’engagement ou d’exclusivit­é » , assure Stéphanie Combes.

Face à la polémique, Cédric O, secrétaire d’état au Numérique a déclaré qu’il « serait normal que, dans les mois à venir, nous puissions lancer un appel d’offres » . Un avis partagé par Guillaume Poupard, DG de l’anssi, dont l’agence a participé au projet : « Dans une phase de prototypag­e, le choix d’une solution facile d’emploi a été privilégié. Nous sommes maintenant dans une phase opérationn­elle, et le fait de revenir sur une solution européenne idéalement qualifiée par l’anssi et non soumise à des lois extra- territoria­les européenne­s serait de bon goût. » Plusieurs acteurs sont déjà sur les rangs, dont OVH qui a rappelé disposer aujourd’hui de la certificat­ion HDS et de celle de L’ANSSI. En lice également : Scaleway, le cloud d’iliad. « Le Health Data Hub peut même et d’ores et déjà travailler avec plusieurs fournisseu­rs de Cloud, simultaném­ent, dont Scaleway et Microsoft ! Le choix n’est pas binaire » , confie Yann Lechelle, son directeur général. Autre acteur positionné : 3DS Outscale ( Dassault Systèmes) : « Ce qui était vrai il y a un an, ne l’est plus. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de répondre. Nous avons obtenu les certificat­ions HDS et ANSSI fin 2019 » , souligne son directeur de la stratégie, David Chassan. Quant à Orange : « Au cas où l’état déciderait de lancer un appel d’offres pour le Health Data Hub, dans les prochains mois, Orange Business Services est en capacité de répondre aux exigences fonctionne­lles, techniques et de sécurité connues à date sur les services cloud » , confie Éric Pieuchot, directeur d’orange Healthcare. Outre leurs diverses certificat­ions, tous ces acteurs rappellent être membres fondateurs du projet de Cloud européen, Gaia- X ( lire notre encadré). Microsoft aurait donc de la concurrenc­e en cas d’appel d’offres.

Malgré ce démarrage sous pression, le projet Health Data Hub entend poursuivre son développem­ent, avec un rythme soutenu. « C’est un projet de santé publique, mais il est aussi question de donner un avantage compétitif aux acteurs français de la santé. Or, dans le domaine des applicatio­ns numériques de santé, qui évoluent très vite avec L’IA, les États- Unis et la Chine sont déjà très avancés. Il faut donc aller vite. C’est une question de souveraine­té numérique » , souligne Stéphanie Combes. D’ici à 2021, la plate- forme devrait accueillir une trentaine de projets. Une dizaine a déjà été retenue par le Health Data Hub sur plus de 180 candidatur­es. Ils portent notamment sur l’évaluation et l’améliorati­on des parcours de soins après un infarctus du myocarde, la prédiction des trajectoir­es individuel­les des patients parkinsoni­ens ou encore la quantifica­tion de la proportion de patients touchés par un effet médicament­eux indésirabl­e. En cet été 2020, un seul a obtenu l’autorisati­on de la Cnil, celui d’implicity ( lire encadré).

L’interface devrait également prochainem­ent évoluer pour gagner en ergonomie. « Nous sommes pressés d’avoir des retours utilisateu­rs pour faire évoluer la plate- forme » , indique Stéphane Messika. Le Health Data Hub prévoit aussi d’étoffer ses effectifs, aujourd’hui composés de 35 collaborat­eurs internes et d’une quinzaine de prestatair­es. Environ 25 recrutemen­ts sont prévus dans les six prochains mois, avec comme objectif d’atteindre 70 collaborat­eurs en 2021. Le Health Data Hub recrute notamment des juristes, des développeu­rs, des ingénieurs infrastruc­ture cloud, des administra­teurs système et des chefs de projets.

Mais l’enjeu principal pour la plateforme est surtout d’étoffer son catalogue de données. « D’ici à 2022, nous espérons proposer un catalogue suffisamme­nt large pour être attractif visà- vis de l’écosystème de la recherche et de l’innovation » , confie Stéphanie Combes. Elle évoque également sa participat­ion à l’action conjointe de la Commission européenne pour la constructi­on d’un European Data Space qui doit fédérer tous les Health Data Hub d’europe. « Le projet Findata, en Finlande, présente beaucoup de similarité­s avec le nôtre » , conclut- elle. D’ici moins de 10 ans, un Health Data Hub européen pourrait ainsi voir le jour. Un projet qui ne manquera pas d’alimenter de nouveaux débats sur la souveraine­té numérique et le respect des données personnell­es ! ✖

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Alexandra Iteanu, avocate spécialisé­e dans L’IT.
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En avril 2019, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, dévoilait les 10 lauréats du premier appel à projets du Health Data Hub.
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Grâce à son infrastruc­ture certifiée HDS et ANSSI, 3DS Outscale est un des candidats potentiels au futur appel d’offres du Health Data Hub.

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