TEMPÊTE SOUS UN CRÂNE
Après avoir été sursollicité, le cerveau “s’éteint” progressivement
« Le burn- out est un processus lent, insidieux, qui s’accomplit par étapes sur quelques mois, parfois des années. On commence à comprendre ce qui se joue dans le cerveau quand il advient », explique le professeur Yves Agid ( 1), cofondateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, sise depuis 2010 dans l’enceinte de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Les personnes atteintes de ce syndrome ressentent presque toutes une intense fatigue suivie d’une lassitude anxiogène et d’une grande souffrance. L’angoisse se transforme en épuisement psychique et moteur. La souffrance se mue en indifférence à l’environnement et aux sentiments, ce qui n’est pas comparable à la dépression. « Puis c’est la rupture, tranche Yves Agid avant de détailler le mécanisme de l’arrêt brutal : les moteurs de ce que nous appelons les quatre éclaireurs, c’està- dire l’attention, la motivation, l’humeur et la vigilance, sont à l’arrêt. Ces éclaireurs fondent nos comportements. Ils sont présents à tous les stades : conscient, préconscient et subconscient. » Le neurologue décrit l’arrêt des quatre éclaireurs comme un dysfonctionnement alarmant du tronc cérébral. Ce dernier est situé au- dessus de la moelle épinière, sous le cerveau. De là naissent des neurones parmi les plus anciens dans l’évolution depuis 800 millions d’années. Ces neurones sécrètent quatre molécules vitales, la noradrénaline, la sérotonine, l’acétylcholine et la dopamine. « Les neurones et leurs molécules se projettent dans le cortex cérébral qui gère nos comportements non automatiques, comme la réflexion, mais aussi dans les noyaux gris centraux, responsables de nos automatismes », explique Yves Agid. Ces mêmes neurones, en se projetant, activent ou bloquent l’ensemble du programme cognitif des quatre éclaireurs – qui sont, rappelons-le, les moteurs de l’attention, la motivation, l’humeur et la vigilance. Ainsi, quand les systèmes de neurones se dérèglent et diminuent leur activité pour des raisons liées à l’environnement, ils bloquent le cortex cérébral et les noyaux gris centraux. « A terme, c’est le burnout, les moteurs des quatre éclaireurs sont grillés » , conclut Yves Agid. (1) Auteur de « l’Homme subconscient. Le cerveau et ses erreurs », Robert La ont. fini par accourir dans le cabinet de son généraliste, après avoir craqué une deuxième fois, au bureau (3). Car ce mal frappe les proactifs, les cadors contents d’abattre leur tâche ou qui culpabilisent trop pour mettre des limites : ceux dont l’identité même se joue au travail. « C’est la maladie des forts » , estime Aude Selly (4), cadre en ressources humaines (RH), qui a fait un burn-out sévère. « Ça frappe les éléments moteurs, les leaders qui partent en croisade » , estime Laurent Sarrazin. Cet ancien manager fourmillait de projets : « C’est ma passion qui m’a consumé. Je trouvais les autres mous du bulbe. Ça n’avançait pas : j’étais devenu un puits sans fond de frustration qui a explosé. » Ils serrent les dents plutôt que d’écouter les signaux d’alarme que leur lance leur corps (maux de dos, problèmes de peau, de sommeil…).
On ne s’embrase pourtant pas avant un crépitement d’étincelles. Le processus suit quatre phases. 1. Une suractivité : la personne « tape dans la butte », décrit Jean- Claude Delgènes, mais elle est contente ; elle se fatigue mais récupère. C’est la période bénie du « siffler en travaillant ». 2. Un sentiment de toute-puissance : elle fait des sacrifices, notamment sur sa vie privée, sans en prendre conscience et avec optimisme. « J’étais ambitieuse, je me sentais même pousser des ailes. J’avais envoyé un mail disant : “Je postule pour cet emploi de DRH. Je déchire !” J’étais dans un état d’euphorie » , se souvient Aude Selly, qui consacrait, estime-t-elle, 80% de son temps à son job. 3. Une frénésie : la future victime travaille sans relâche, convaincue qu’elle y est obligée. Elle le fait, mais sans plaisir aucun et avec la certitude d’être enchaînée ; elle passe en pilotage automatique et s’isole. C’est la période Sisyphe asservi à son rocher. L’être surpuissant est alors une bombe à retardement. 4. Un effondrement : épuisées, les victimes d’un burn-out ne peuvent plus se lever, errent comme des zombies. Devant un journal, certaines ne s’accrochent plus qu’aux images, incapables de lire la moindre ligne. Après la déflagration, le plongeon. « Le pétard a explosé un soir, à la maison, dit Laurent Sarrazin. Je me suis écroulé en larmes. Jamais je ne pleurais. Moi, un homme, un manager, un ingénieur