L'Obs

À Hayange, le FN aux fourneaux

Sur fond de désindustr­ialisation et de désespéran­ce sociale, le parti d’extrême droite s’enracine en Lorraine sur d’anciennes terres de gauche

- Par Nathalie Funès

Les carcasses rouillées des hauts-fourneaux se dressent à l’entrée de Hayange. Pendant plus d’un siècle, ils ont craché leurs gaz, leurs poussières et leurs odeurs de soufre, ils ont noirci les murs, encrassé les arbres, teinté d’ocre la neige en hiver, et déversé chaque soir, à la fermeture, des génération­s d’ouvriers éreintés. Ils ont fini par être réduits au silence, en avril 2013, par Arcelor Mittal, installé à Florange, la commune voisine, après dix-huit mois d’une crise qui a vu défiler tous les politiques du pays. Depuis, Hayange, l’ancienne ville phare du nord de la Lorraine, fief historique de la famille Wendel, se sent abandonnée. « Depuis la fermeture, la ville est sidérée, anesthésié­e, saufqu’ iln’ yapas de réveil prévu, pas d’avenir envisagé, déplore Alain Leyder, médecin généralist­e et conseiller municipal d’oppo- sition sans étiquette. Et cette désespéran­ce, c’est le Front national qui en a profité. » Bienvenue sur les terres de conquête du « marinisme » : ce Front de l’Est qui prospère dans les milieux populaires sur d’anciennes terres de gauche, sur fond de désindustr­ialisation et de crise sociale. Ainsi, Serge, 75 ans, ajusteur à la retraite, a-t-il voté à l’extrême droite pour la première fois de sa vie. « Parce que la droite et la gauche, c’estpareil » et parce qu’il n’en peut plus de toucher « une retraite de trois francs six sous » . Pascal, 46 ans, maçon en invalidité après un accident du travail, s’est lui aussi converti au FN parce qu’il en a « marre de tout » et qu’ « il faut que la France revienne à la France ». Le contexte politique local a fait le reste pour assurer la victoire municipale. Un maire sortant socialiste usé par trois mandats, une gauche et une droite divisées, une quadrangul­aire au second tour, et un taux d’abstention record (43%)… Les 15000 Hayangeois se sont livrés au parti de Marine Le Pen sans enthousias­me. Le candidat frontiste, Fabien Engelmann, l’a emporté avec un peu plus d’un tiers des voix (34,7%), soit à peine un électeur sur cinq inscrits. Son parcours résume à lui seul les ambiguïtés de ce « nouveau » FN: c’est un ancien… trotskiste et ex-syndicalis­te CGT de 35 ans, employé comme plombier-chauffagis­te par la municipali­té voisine de Nilvange. Fils unique d’un couple de témoins de Jéhovah, végétarien et membre de la Fondation Brigitte Bardot depuis ses 13ans, Fabien Engelmann, cheveux bruns coupés en brosse, jean et derbys pointus, a même milité successive­ment pour Lutte ouvrière et pour le NPA d’Olivier Besancenot! Il a rendu sa carte quand une candidate avignonnai­se s’est présentée voilée aux élections régionales et il a rejoint le Front national à l’automne 2010. Quatre ans plus tard, le voilà nouvel édile FN de cette petite cité de Lorraine. Et dans « Du gauchisme au patriotism­e, itinéraire d’un ouvrier élu maire d’Hayange », un livre publié au lendemain des élections municipale­s par Riposte laïque, le collectif islamophob­e, il étrille cette

« nouvelle immigratio­n » qui vient « bien souvent pour profiter des aides sociales sans travailler et pour imposer une idéologie religieuse moyen â geuse » .

Depuis la fin du XIXe siècle, Hayange a vu arriver des vagues successive­s de travailleu­rs italiens, espagnols, portugais, polonais, ukrainiens, algériens… Ici, tout le monde ou presque a au moins un de ses grands-parents d’origine étrangère. « La tolérance était une de nos richesses. C’est comme si une chape de plomb était tombée sur laville », assure Isabelle Iorio, élue d’opposition divers gauche. La victoire du FN n’a pourtant guère fait de vagues. Une centaine de militants de gauche ont manifesté devant l’hôtel de ville, début avril, le jour de l’intronisat­ion du maire et un nouveau mouvement « Hayange, plus belle ma ville » vient de se créer pour surveiller les agissement­s de l’équipe frontiste. Mais sur les 140 associatio­ns sociocultu­relles en relation avec la commune, une seule, la compagnie de théâtre Les Uns, Les Unes, a annoncé qu’elle cessait ses activités. « Le FN? Cela ne va rien changer, assure Abdel, 21ans, chômeur, fils de chômeur, qui erre chaque jour avec sa canette de bière dans la rue Foch, l’artère principale. Iln’y avait pas de travail et il n’y en aura pas plus. » Autour de lui, on ne compte plus les magasins fermés. Le dernier cordonnier de la ville vient de mettre la clé sous la porte. Il faut désormais aller à Thionville à un quart d’heure en voiture pour faire ressemeler ses chaussures. Et l’unique hôtel du centre-ville, le bien nommé… Central, a été réquisitio­nné par la préfecture pour accueillir une trentaine de familles de demandeurs d’asile. Seule l’église Saint-Martin de style renaissanc­e, avec ses vitraux barrés de l’inscriptio­n « Ora et la bora » (« Prie et travaille »), que les Wendel ont inaugurée en 1884, témoigne encore du

Depuis la fermeture des hauts-fourneaux, la ville est anesthésié­e, sauf qu’il n’y a pas de réveil prévu.

glorieux passé de la ville. Installés là à partir de 1704, les célèbres maîtres de forges ont fait vivre la ville pendant près de trois siècles. Les mines, les usines, les maisons d’ouvriers, les écoles, les épiceries, les terrains de football, tout leur appartenai­t. Ils sont partis à la fin des années 1970, quand la crise de la sidérurgie a éclaté.

« Cela fait presque quarante ans que Hayange subit de plein fouet la désindustr­ialisation, raconte Philippe David, l’ancien maire socialiste de la ville. Ces dernières années, les services publics ont fermé les uns après les autres, le lycée technique, les services d’urgence et de chirurgie de l’hôpital… Les anciens mineurs touchent des retraites de misère, 14% de la popula- tion est au chômage, un gros tiers des foyers seulement est imposable, la pauvreté ne cesse de progresser. C’est une

ville en souffrance. » Pour autant l’isolement et la paupérisat­ion de Hayange, qui l’ont poussée dans les bras du FN, pourraient bien s’accentuer. Le conseil général de Moselle et la communauté d’agglomérat­ion du Val de Fensch ont mis au ban la municipali­té frontiste et risquent d’être avares en subvention­s. Les villes de Diekirch au Luxembourg et d’Arlon en Belgique ont interrompu leur jumelage. Et le nouveau maire, déjà critiqué pour l’incompéten­ce de son équipe ( « que des bras cassés » , assure un journalist­e local), se contente pour l’instant de quelques mesures symbolique­s et de menues économies. Trois drapeaux tricolores ornent désormais la façade de l’hôtel de ville. Les indemnités du maire et des adjoints ont diminué de 20%, le projet d’extension de la salle de judo a été abandonné, et le Palace, l’unique cinéma, ne diffusera plus de films. Fabien Engelmann a aussi convoqué l’équipe de nettoyage pour améliorer la propreté de la ville et demandé aux policiers municipaux de multiplier les rondes pour verbaliser et expulser mendiants et buveurs d’alcool de la voie publique. Commentair­e du maire: « Les bonnes âmes qui veulent les défendre n’ont qu’à les prendre dans leur jardin. » Circulez, y a pas grand-chose à voir.

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Fabien Engelmann, 35 ans, ancien trotskiste et ex-syndicalis­te CGT, a été élu maire de la ville avec 34,7% des voix
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