L'Obs

Le maître du Gévaudan

Catherine Hermary-Vieille revisite la légende de la bête du Gévaudan en brossant le portrait de son terrible maître…

- Claire Julliard

La Bête, par Catherine Hermary-Vieille, Albin Michel, 154 p., 15 euros. La légendaire bête du Gévaudan a tué plus de 100 personnes en trois ans, elle a échappé aux battues et s’est jouée des hommes qui la pourchassa­ient. Pour être si mauvais, l’animal semblait doté d’une intelligen­ce humaine. C’est pourquoi son histoire a tant marqué les esprits au long des siècles. Un certain nombre de livres ont relaté ses méfaits, mais celui de Catherine Hermary-Vieille adopte un angle différent en brossant le portrait du maître de ce monstre. « La Bête », court roman au style épuré, saccadé, est un ouvrage puissant. D’abord parce qu’il revisite l’énigme à partir de faits historique­s avérés. Ensuite parce que, loin d’apaiser, cette élucidatio­n laisse une impression de vertige et de désarroi qui tient à l’ancrage profond du mythe dans l’inconscien­t collectif.

Nous sommes au xviiie siècle dans ce Gévaudan légendaire qui est une région de l’actuelle Lozère, au village de La Besseyre-Saint-Mary. La poignée de paysans qui l’habitent ne craignent pas les loups qui rôdent mais les esprits maléfiques censés hanter les ténèbres. Pour s’en protéger, ils font souvent appel au père Chastel, le guérisseur local. L’un de ses fils, Antoine, le triste héros de l’histoire, rêve de quitter la France. Un soir, il s’embarque sur un navire marchand qui fait voile vers Tripoli. Capturé par les Barbaresqu­es, le garçon est amené dans le palais du dey d’Alger où il subit le supplice de la castration. Nommé responsabl­e de la ménagerie, il se rapproche d’une petite hyène qui vient de naître. Il l’appelle Bête. L’hyène grandit, elle devient redoutable et n’obéit qu’à lui. Après des années de captivité, Antoine s’enfuit avec elle. Il regagne son pays et retrouve son père. Mais celui-ci lui demande d’abattre cet étrange animal qui éventre les poules. Antoine part alors vivre dans la forêt avec sa bête et son chien. Terré dans son repaire, il sent monter en lui des pulsions incontrôla­bles. Bientôt, des jeunes filles du coin sont retrouvées égorgées. Des traques s’organisent pour retrouver ce monstre qu’on dit grand comme un veau. Seul à savoir la vérité, le père Chastel est tiraillé par sa conscience…

On l’aura compris, l’intérêt de l’histoire ne réside pas dans l’énumératio­n des victimes du prédateur qu’on a si longtemps pris pour un loup. Il tient au mystère de la psyché de son maître. A travers ce terrible conte, l’auteur sonde la part animale de l’être humain. Plus qu’un roman historique, Catherine Hermary-Vieille a écrit un drame qui plonge au coeur du Mal. On en reste saisi.

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Représenta­tion de la bête du Gévaudan, en 1765. Gravure du xixe siècle

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