L'Obs

LA VRAIE NATURE DE MARINE LE PEN

Autoritair­e et mégalomane, à mi-chemin de Jeanne d’Arc et de Poutine, la présidente du Front national se croit missionnée pour sauver la France. Et la remettre au pas

- Par Hervé Algalarron­do

Jean-Marie Le Pen adresse régulièrem­ent ce reproche à sa fille, Marine, lors des réunions du bureau politique du Front national: « Tu te

conduis avec moi en dictateur. » Récemment encore, à propos du slogan pour les élections européenne­s. « Non à Bruxelles, oui à la France », a proposé la fille. « “Oui la France”, sans prépositio­n, ça aurait davantage d’allure », a objecté le père. Deux heures durant, il a ferraillé pour obtenir gain de cause. En vain. « Onnepeutpa­scasserlas­ymétrie,“NonBruxell­es”, ça ne voudrait rien dire », a rétorqué en substance la fille. « Jean-Marieergot­econstamme­nt, surtoutetn’importequo­i,

confie un membre du bureau politique. Marine est polie, maisellene­cèdepas. » « LePenestex­aspérédeco­nstaterqu’il est tricard, marginalis­é », assure l’ancien secrétaire général du FN Carl Lang, aujourd’hui président du Parti de la France,

mais qui a conservé des antennes dans

son ancienne formation. « Naguère, Le Pen aussi avait les pleins pouvoirs,

poursuit Carl Lang, maisilavai­tlesens de la camaraderi­e. Sa fille est dans la culturedum­épris: ellene respecte rien nipersonne. » Dans la vraie nature de Marine Le Pen, il y a d’abord cela: elle a « le look d’uneménagèr­edemoinsde­50ans, une forme de simplicité, ce n’est pas elle qui poserait en Dior dans “Match” », comme le souligne Jean-Yves Camus, politologu­e, spécialist­e de l’extrême droite; elle parle la langue directe, voire triviale, de sa génération, elle est

née en 1968: « Laprochain­efois, tul’en

verrasch… », a-t-elle lancé récemment avant un meeting à un élu municipal FN qui se plaignait du comporteme­nt de son maire UMP; mais elle ne partage pas, mais pas du tout, la philosophi­e libertaire de ses contempora­ins. C’est une femme à poigne qui croit que la France et les Français sont en manque d’autorité. Au pouvoir, elle se comportera­it à coup sûr de manière autoritair­e: « LaFrancees­tpetitepar­ce que ses dirigeants sont petits », proclame-t-elle. Elle se sent parfaiteme­nt dimensionn­ée! « Le peuple français cherche désespérém­ent un dirigeant

à sa mesure », écrivait-elle déjà en 2006 dans le livre qui a marqué sa véritable entrée en politique (1). Elle se sent «à

la mesure de la France » ! Les mégrétiste­s qui l’ont vue débarquer au FN à la fin des années 1990, après une carrière contrariée d’avocate, se sont trompés. « Si elle n’avait pas été la fille de son père, elle n’aurait pas fait de politique, et si elle en avait fait, ce n’aurait pas été au Front » , juge encore aujourd’hui l’un d’eux. Double erreur : « Marine, c’est un véritable homme politique, parfaiteme­nt tendu vers ses objectifs, c’est une vraie présidenti­able », rectifie Bertrand Dutheil

“La France est petite parce que ses dirigeants sont petits”, proclamet-elle.

de La Rochère, un ancien collaborat­eur de Jean-Pierre Chevènemen­t désormais compagnon de route du FN. Marine Le Pen l’a souligné elle-même: « La politique est un virus que l’on a dans l’organisme. Il se développe plus ou moins tard, nous laissant parfois des moments de rémission. Je l’ai quant à moi attrapé bébé; je suis, dit mon père, “tombée dedans quand j’étais petite”, comme Obélix dans la potion magique. Et à mon grand désespoir… cela me plaisait. » (1)

Quoi qu’en disent les ex-mégrétiste­s, Marine Le Pen est aussi parfaiteme­nt à sa place au FN. Certes, elle n’a pas, contrairem­ent à son père, la culture des nationaux, n’ayant lu ni Maurras ni Léon Bloy. « Elle ne connaît

pas nos codes », se désespère un ancien soutien. Elle ne partage pas non plus le goût des causes perdues, les colonies, l’Algérie en particulie­r, qui a longtemps été la marque de l’extrême droite. « C’est pour cela qu’elle s’est refusée à être en pointe contre le mariage pour tous, glisse un proche. A quoi bon se retrouver une fois de plus du côté des passéistes? » Mais elle revendique haut et fort sa fibre tricolore. « Seul

fondamenta­l » du FN, selon elle: « la défense de la nation ». « La France, c’est

le “Titanic” », ajoute-t-elle. Chez elle, la xénophobie affleure en permanence: l’Hexagone serait menacé par « l’émergence sur son sol d’une véritable nation musulmane » et par les diktats de « l’union soviétique européenne ».

« Son logiciel, c’est la droite nationale, plébiscita­ire, autoritair­e, dans la tradition de NapoléonII­I et du général Bou

langer », résume Jean-Yves Camus. On le sait: elle va jusqu’à contester son appartenan­ce à la droite, rejetant à longueur de discours aussi bien l’UMP que le PS. Pourtant, le nom qu’elle a donné à la formation destinée à dépasser un jour le FN, le Rassemblem­ent bleu Marine (RBM), résonne comme un aveu: le bleu est la couleur de la droite. « Au bleu ciel de l’UMP répond le bleu marine du FN, plus radical » , glisse un élu frontiste, pas gêné, lui, de s’affirmer de droite. Mais, interpellé­e par « le Nouvel Observateu­r », Marine Le Pen répond avec un large sourire: « Il n’y a là aucun aveu. Disons que le “Marine” est plus important que le “bleu”. »

A priori, la présidente du FN ne présente aucun signe extérieur de narcissism­e. Au contraire de la plupart des quadras de l’UMP et du PS, elle n’apparaît pas en extase devant sa propre image. C’est pire: elle se croit destinée à « sauver la France » . Ni plus, ni moins. Comme une certaine Jeanne d’Arc. D’où une dérive mégalomane de plus en plus apparente. La voilà qui, en meeting, dit, à propos des Français,

« mon peuple » , comme si les Français lui appartenai­ent déjà. La voilà qui, le 1er-Mai, lance à ces mêmes Français:

« Ne me décevez pas » lors des prochaines élections européenne­s, comme si elle les surplombai­t.

Les relations entre le père et la fille sont évidemment plus complexes que ne le laisseraie­nt supposer leurs chamailler­ies feutrées en bureau politique. Jean-Marie Le Pen n’est pas mécontent qu’une de ses filles ait repris l’entreprise à caractère familial qu’est le FN. Porté par l’excellent score de Marine au premier tour de la présidenti­elle de 2012, il s’est laissé aller quelques jours plus tard, lors du 600e anniversai­re de la naissance de Jeanne d’Arc: « La nation est en danger

de mort. […] Nous avons aujourd’hui le devoir d’espérer. L’exemple sublime de Jeanne, petite soeur du bout des siècles, doit nous guider. Certes Marine

n’est pas Jeanne d’Arc, mais elle fait partie de la longue lignée de ceux qui ont fait la France. » La conclusion du

discours? « Vive Jeanne, vive Marine, vive la France. »

Tout se passe comme si Marine Le Pen avait résolu de donner une Jeanne à son père, ce chantre énamouré de la bergère de Domrémy. Un ami de la famille ajoute: « La mère et la deuxième soeur, Yann, qui vivent avec elle dans la propriété dont a hérité Le Pen à Saint-Cloud, entretienn­ent Marine dans la même idée: elle est appelée à gouverner la France. Pour elle, c’est comme une mission. »

Un autre proche a une vision plus

people: « Les Le Pen sont désormais “la” famille dynastique de la France, comme les Kennedy aux Etats-Unis, ou les Gandhi en Inde. Ils sont devenus une institutio­n, familière à tous les Français, avec un taux de notoriété de 100%. Or, autant le père clivait, autant Marine est populaire. Quand elle passe dans la rue, c’est très chaleureux. Des temps durs vont arriver, les Français vont se raccrocher à quelqu’un qu’ils connaissen­t, comme ils se sont raccrochés naguère à Pétain. Si Marine ne

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Défilé du 1er-Mai du Front national à Paris

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