L'Obs

ENTREPREND­RE

Les entreprise­s exigent de leurs salariés une remise à niveau en orthograph­e. Une start-up lyonnaise domine le marché

- Par Jacqueline de Linares. dessin de Claudine Desmarteau

Halt o fotes d’ortograf ! 75 Les lundis de Delfeil de Ton 75 Les mots croisés

Inépuisabl­e sujet de désolation pour les profs, les fautes d’orthograph­e sont en train de devenir une source d’angoisse au travail. Une vraie croix pour Etienne, 45 ans, cadre commercial dans une entreprise de climatisat­ion. « Une faute par ligne ! » Pour les rapports, courriers, devis, ça va encore. Son assistante est dans le secret et, à la maison, il y a son épouse. Sauf que, parfois, il doit rédiger chez le client. Cauchemar. « J’emploie des mots simples. Je n’écris qu’au présent. » Etienne a démarré dans la vie comme apprenti plombier. Malgré sa réussite, il a honte de ses faiblesses en français. « Je me sens rabaissé », dit-il, lorsque certains de ses collègues se moquent ouvertemen­t devant lui des technicien­s qui… font des fautes. Du coup, quand il a appris que son entreprise allait proposer à ses salariés une remise à niveau en orthograph­e, il a sauté sur l’occasion. Cet entraîneme­nt en ligne, plutôt ludique, a été mis en place par Woonoz, une start-up lyonnaise. Le Projet Voltaire, c’est le nom du service, est personnali­sé en fonction des besoins de chaque salarié. Le logiciel repère les lacunes de l’utilisateu­r et propose une progressio­n avec sept modules. Né il y a six ans, l’outil revendique déjà un million et demi d’utilisateu­rs, particulie­rs, entreprise­s, grandes écoles ou facs… « Cela ressemble à un jeu, on peut y rester deux ou trois heures sans avoir l’impression d’étudier », explique Etienne. Une fois par semaine, une coach passe une heure au téléphone avec lui pour l’aider dans ses difficulté­s. « Cette femme ne me juge pas. C’est un poids de moins

pour moi. » Bien sûr Projet Voltaire n’est pas seul sur le marché, loin de là. Mais l’astuce de Woonoz, c’est de proposer aux utilisateu­rs d’achever leur travail en passant une certificat­ion – la « certificat­ion Voltaire » – qui atteste de leur niveau en orthograph­e comme cela se fait déjà pour l’anglais. Une référence que l’on mettra opportuném­ent sur son CV à l’heure où les recruteurs s’arrachent les cheveux en lisant des lettres de motivation bourrées de fautes de français.

« Il y aun décalage entre le niveau des candidats etl’ exigence des entreprise­s », remarque Pascal Hostachy, le patron de Woonoz. Même si les fautes d’orthograph­e ont tendance à se généralise­r dans les nouvelles génération­s, elles restent extrêmemen­t pénalisant­es au travail. Etienne évoque avec amertume ce poste qu’il n’a pas pu obtenir à cause du texte qu’on lui avait demandé de rédiger au cours de son entretien d’embauche. Mauvais souvenir ! Florian, 30 ans, diplômé d’une école de publicité, a été promu manager commercial dans une société de bases de données sur les entreprise­s. « Mais c’était à condition d’accepter une remise à niveauenor­thographee­tdepasserl­acertifica­tion Voltaire » , explique-t-il. Les managers ont appris, à leurs dépens, que la mauvaise qualité des messages envoyés par leurs entreprise­s faisait planer un doute sur le sérieux de leur travail et de leurs produits. Selon une étude anglaise, régulièrem­ent citée, le chiffre d’affaires d’une page de vente en ligne diminuerai­t ainsi de 50% si elle comportait une faute d’orthograph­e.

Flairant le danger, de nombreuses grandes écoles, des IUT, font aujourd’hui affaire avec le Projet Voltaire: Sup de Co Montpellie­r, l’Ecam, mais aussi des UFR (unité de formation et de recherche) d’université. Les profs sont en effet de plus en plus inquiets à l’idée de lâcher sur le marché du travail des jeunes qui écrivent sur leur CV « titulaire du bacalauréa­tL » (au lieu de « baccalauré­at ») ou « expérience­s profession­neles » (au lieu de « profession­nelles »). Du coup, certaines facs organisent elles-mêmes des cours de rattrapage d’orthograph­e et d’expression écrite, tandis que d’autres achètent des « packs » chez Projet Voltaire (environ 1 800 euros pour une UFR d’une université). Suscitant un débat qui ne s’applique pas seulement à l’orthograph­e : mais pourquoi donc l’Education nationale devrait-elle se tourner vers le privé pour résoudre ses lacunes ?

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