L'Obs

Le roi lecteur

Soliloques de l’exil, par Samuel Brussell, Grasset, 210 p., 18 euros.

- Didier Jacob

Il n’est jamais si heureux que lorsqu’il rate son train. Imaginez la scène: en gare de Brigue, chef-lieu du Valais, Samuel Brussell attend son Intercité pour Milan. Bien sûr, il a l’esprit ailleurs. Dans un essai de Roberto Calasso qu’il lit en italien. Il est si absorbé que le tortillard part sans lui. Comme si de l’attraper à l’heure l’eût acheminé trop tôt vers sa destinatio­n: « Dans l’ennuiquere­présentele­phénomèned­elagrandev­itessed’untrain, on cherche à se distraire davantage parles scènes intérieure­s que dans le tableau saccadé et fuyant du paysage qui défile sur lavitre. »

Rien d’étonnant, donc, à ce que le chemin de plume qu’emprunte Brussell, dans sa nouvelle rêverie d’un promeneur solitaire, prenne un tour aussi délicieuse­ment fantaisist­e. Suisse d’adoption, italien de coeur, français de raison, Samuel Brussell n’a cependant rien d’un fonctionna­ire européen aux talents diplomatiq­ues: il se lâche sur Ben Jelloun (le juré Goncourt est, selon lui, « en proie aux démons de sa propre névrose » ), tacle Emmanuel Carrère, incendie Stéphane Hessel, un « magnat de l’industrie de l’indigna

tion » . Mais se souvient, aussi, des heures passées avec ses amis Edouard Limonov, Vidia Naipaul et surtout Joseph Brodsky, le poète russe exilé à New York, son idole, son dieu. A Paris, il passe des « centaines d’heures » dans les étages de chez Gibert, la librairie d’occasion. Cet homme-là a toujours un livre à la main. Lui attribuera­it-on le césar de la lecture? Le hannibal, plutôt. Hannibal lecteur.

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