L'Obs

Juan Manuel de Prada : le franquiste de salon

Une imposture, par Juan Manuel de Prada, traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli, Seuil, 512 p., 23,50 euros.

- Serge Raffy

Dans les milieux littéraire­s madrilènes, on le surnomme le « franquiste de salon », comme on évoque en tauromachi­e ces toreros de pacotille maniant la muleta devant un miroir. Juan Manuel de Prada, quadra de la littératur­e espagnole, hanté par la guerre civile, petit génie turbulent et provocateu­r, auteur de quelques chefs-d’oeuvre, n’en finit pas de fouiller l’âme noire de ses compatriot­es et de planter sa lame là où ça fait mal. Héraut du plagiat pour tous, proche de l’Eglise espagnole, chroniqueu­r au très conservate­ur quotidien « ABC », adversaire de l’avortement, de l’euthanasie, le « réac » Juan Manuel de Prada dérange, bouscule, joue les Céline galopant derrière Don Quichotte avec une frénésie ébouriffan­te.

Son atout majeur pour amadouer les critiques? Il raconte l’histoire de son pays comme personne. Son nouveau roman, « Une imposture », n’échappe pas au genre du roman historique iconoclast­e. Il nous plonge encore une fois dans le gouffre et les méandres des années sombres du Caudillo. A Madrid, Antonio, un voleur à la tire, s’amourache de Carmen, pulpeuse ingénue dont les charmes lui servent à détrousser les « señoritos » en visite à Madrid. La torride Carmen, trop impulsive, tue un de ses « clients ». Le brave Antonio, par amour, et sans doute aussi par goût de l’aventure, endosse le meurtre, s’enrôle dans la División Azul, part sur le front soviétique, est fait prisonnier par l’Armée rouge, usurpe l’identité d’un sosie richissime, un certain Gabriel Mendoza.

Entre saga picaresque et fresque dostoïevsk­ienne, Juan Manuel de Prada, avec ce héros à la petite semaine propulsé dans les prisons de Staline, s’attarde sur la puissance de l’Histoire, machine à broyer ou à illuminer les destins et les trajectoir­es des hommes. Chez l’auteur des fameux « Masques du héros » (1996), Antonio est un témoin misérable et magnifique des tragédies humaines. Pour ses détracteur­s impénitent­s, Juan Manuel de Prada est tout sauf un écrivain de salon. Il trempe sa plume avec un génie frénétique dans la boue de l’Histoire.

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Juan Manuel de Prada

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