L'Obs

FN cherche amis étrangers

Jadis infréquent­able, le parti lepéniste séduit de nouveaux alliés au sein de l’extrême droite européenne. Avec l’espoir de prendre la tête d’un fort groupe de députés le 25 mai

- Par Maël Thierry

« Vous ne m’avez pas vue puis que je ne suis jamais là ! » Croisée mi-avril à la cafétéria des élus à Strasbourg, Marine Le Pen, régulièrem­ent épinglée pour son absentéism­e au Parlement européen, ironise. Si, si, la députée européenne qu’elle est depuis dix ans est visible, de temps en temps, lors de ces sessions dans la capitale alsacienne, ne serait-ce que parce qu’il faut signer la feuille de présence pour toucher son indemnité. Mais la présidente du FN ne s’en cache pas: son niveau d’implicatio­n dans les travaux européens est proche de zéro. La faute, dit-elle, au fait qu’elle n’appartient pas à un groupe puissant comme les socialiste­s, les conservate­urs ou les Verts européens. « C’est très frustrant de n’avoir aucun pouvoir, on finit par ne plus aller en commission­s parce que cela ne sert à rien d’être là à écouter lesautres. »

Marine Le Pen, un fantôme sur la scène européenne? Cela pourrait ne pas durer. Car, si elle fuit aujourd’hui les débats bruxellois, la patronne du FN s’active pour nouer des alliances, constituer un puissant groupe europhobe dans la future assemblée de Strasbourg et étendre ainsi sa sphère d’influence. Et l’égérie frontiste, à qui les sondages français pronostiqu­ent un fort score aux européenne­s, rencontre quelques échos.

Pays-Bas, Suède, Italie… Ces derniers mois, la patronne du FN a beaucoup voyagé.

Jusqu’ici, en Europe, le FN faisait surtout peur. Son fondateur, Jean-Marie Le Pen, avec ses saillies à caractère antisémite et ses dérapages répétés sur les chambres à gaz, était jugé trop sulfureux par une bonne partie de l’extrême droite européenne. L’ex-numéro deux Bruno Gollnisch se souvient qu’à une époque ni lui ni Le Pen ne pouvaient mettre les pieds aux Pays-Bas ou en Grèce sans risquer de subir des menaces ou de provoquer des manifs monstres. Le FN avait quand même quelques amis, réunis au sein de l’Alliance européenne des Mouvements nationaux.

Quand Marine Le Pen prend la tête de son mouvement, en 2011, elle

décide d’imprimer sa marque. Et d’engager la « dédiabolis­ation » à tous les étages, y compris sur la scène internatio­nale. Elle affiche l’intention de rompre avec ses alliés les plus encombrant­s, ceux qu’elle appelle les « mouvements très radicaux aux positionne­ments contestabl­es ». En premier lieu: le Jobbik hongrois, « à la limite del ’antisémiti­sme », juge-t- on dans son entourage, ou le British National Party, qui limitait, au départ, l’adhésion aux Blancs… La stratégie de la cheftaine frontiste a partiellem­ent porté ses fruits. Le FN a intégré l’Alliance européenne pour la Liberté (AEL), où il a rejoint les démocrates suédois, les Belges du Vlaams Belang ou encore le FPÖ, le Parti de la Liberté autrichien, autrefois dirigé par Jörg Haider, et depuis 2005 par Heinz-Christian -Strache. Mais ceux-là sont des amis de longue date de l’extrême droite française: Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch se sont eux aussi rendus au bal des corporatio­ns étudiantes de Vienne avant que « Marine » n’aille à son tour en 2012 danser une valse qui fit polémique aux côtés de pangermani­stes. « Le FPÖ est un partide gouverneme­nt », répète celle qui en France aspire à prendre le pouvoir. Cela n’empêche pas ses camarades autrichien­s de déraper: la tête de liste du FPÖ aux européenne­s, Andreas Mölzer, a dû se retirer après avoir comparé, dans une conversati­on enregistré­e à son insu par un journalist­e, l’Union européenne à « un congloméra­t de nègres » dont le souci de tout réglemente­r ferait passer le régime nazi pour un espace de liberté…

Mais la vraie « prise » de Marine Le Pen vient des Pays-Bas. Il s’agit du leader néerlandai­s peroxydé Geert Wilders, chef du Parti pour la Liberté (PVV). Lui qui affiche sa proximité avec Israël ne voulait pas entendre parler de Jean-Marie Le Pen. Mais il ne rechigne plus à s’afficher aux côtés de sa fille. « C’est un changement de comporteme­nt de sa part à lui, assure

Marine Le Pen. Il s’est rendu compte qu’il fallait qu’il sorte de son isolationn­isme. » Un premier déjeuner a été organisé en avril 2013. L’occasion de régler les malentendu­s, explique Ludovic de Danne, le conseiller Europe de la présidente du FN: « Ona levé les ambiguïtés sur le racisme ou l’antisémiti­sme dont on était mutuelleme­nt accusés et Wilders s’est défendu de toute islamophob­ie. » Pas islamophob­e, vraiment? C’est pourtant le même Wilders qui, le 19 mars dernier, en conclusion d’un meeting à La Haye, lance à ses partisans: « Vous voulez plus ou moins de Marocains dans

cette ville? » « Moins, moins, moins » , répond la salle. « On va réglerç a! » promet-il. Peu importe, « Marine » est tellement contente d’avoir un nouvel ami. Un populiste néerlandai­s qui partage avec elle le rejet de l’immigratio­n et de l’Europe. En novembre dernier, elle était à ses côtés à La Haye pour vanter leur rapprochem­ent.

Ces derniers mois, l’ex-candidate à la présidenti­elle a d’ailleurs beaucoup voyagé. Elle est aussi allée en Suède, à l’automne 2013, rencontrer le leader du parti d’extrême droite, les Démocrates suédois (SD). Son conseiller Ludovic de Danne a été dépêché à Turin au congrès de la Ligue du Nord, dont le dirigeant, Matteo Salvini, dit partager « 99% » des idées frontistes sur l’Europe. Ce jeune assistant mariniste au Parlement européen a aussi été chargé d’une mission dans les pays de l’Est – Roumanie, Bulgarie, Slovaquie et République tchèque– pour trouver les partis « compatible­s » avec son mouvement. La députée Marion Maréchal-Le Pen a aussi pris ses valises pour se joindre à un rassemblem­ent du Vlaams Belang, formation xénophobe et séparatist­e flamande.

Pourtant, malgré ses assauts, il est encore des résistants à la « dédiabolis­ation ». La patronne du FN a essuyé un échec de taille en étant éconduite par un autre leader europhobe qui a le vent en poupe dans son pays: l’Anglais Nigel Farage, le leader de l’Ukip (United Kingdom Independen­ce Party). La Française l’a rencontré et lui a ouvert les bras sur la BBC. En vain: Farage juge que la présidente du FN « essaie d’éloigner son parti de son passé compromett­ant, mais le bagage historique est toujours là ». Du coup, le Britanniqu­e préfère s’afficher aux côtés du souveraini­ste Nicolas Dupont-Aignan. De quoi susciter un petit commentair­e acide de Bruno Gollnisch, qui regrette que le FN ait tourné le dos à ses amis du Jobbik hongrois pour chercher des partenaire­s moins fiables: « Il vaut mieux des amis fidèles même s’ils sont diabolisés que des personnali­tés plus difficilem­ent saisissabl­es. »

Cela ne devrait pas empêcher la fille de Jean-Marie Le Pen d’atteindre son objectif le 25 mai: constituer avec ses alliés un groupe europhobe et disposer des moyens qui vont avec en termes de communicat­ion et de finances. Pour cela, il faudra obtenir au total 25 députés de sept nationalit­és différente­s. Un objectif à sa portée si une vague europhobe déferle. Selon les calculs de Marine Le Pen, le futur Parlement européen pourrait compter un gros tiers d’élus euroscepti­ques. La présidente du FN aura de fait une position plus centrale: aujourd’hui, elle ne siège qu’avec son père et Bruno Gollnisch, après le petit 6,3% obtenu lors du scrutin de 2009. Demain, étant donné le poids de la France, elle pourrait envoyer le plus gros contingent d’élus europhobes. « On est très regardés et considérés par les autres comme un très grand parti », explique Marion Maréchal-Le Pen, qui verrait bien sa tante comme présidente du futur groupe. C’est aussi ce qu’anticipe Ludovic de Danne: « On va créer un groupe autour de Marine. Elle est perçue comme un leader naturel, comme une locomotive. C’est un peul’anti-Merkel. »

Avec quel socle idéologiqu­e commun? Les nouveaux alliés de Marine Le Pen partagent les mêmes ennemis: les « diktats » de Bruxelles, l’immigratio­n massive… Sur la monnaie unique, ils s’accordent dans le manifeste de l’AEL pour envisager « une dissolutio­n concertée de la zone euro » et laisser d’ici là la possibilit­é aux Etats membres d’en sortir. « Nous sommes tous pour la souveraine­té. Ce qu’on ne veut pas, c’est que l’Europe nous impose quelque chose », résume la présidente du FN, tête de liste dans le Nord- Ouest. Bref, le fameux précepte: chacun maître chez soi! Il vaut mieux car, au-delà de ses épouvantai­ls communs, l’alliance a un côté auberge espagnole: entre la Ligue du Nord séparatist­e et le FN très jacobin, ou entre Wilders, défenseur du mariage homosexuel, et Marine Le Pen qui le combat. « Ces groupes ont toujour sune vie tumultueus­e, souligne le chercheur associé à l’Iris (Institut de Relations internatio­nales et stratégiqu­es) Jean-Yves Camus. Des partis nationalis­tes, c’est plus difficile à accorder que des partis fédéralist­es. » C’est bien beau de se trouver de nouveaux amis, mais, pour les conduire du même pas après le 25 mai, le « fantôme de Strasbourg » aura encore un sacré boulot.

 ??  ?? Marine Le Pen et le Néerlandai­s Geert Wilders, chef du PVV, le 13 novembre 2013 à La Haye
Marine Le Pen et le Néerlandai­s Geert Wilders, chef du PVV, le 13 novembre 2013 à La Haye
 ??  ?? L’Autrichien HeinzChris­tian Strache, leader du FPö, est un ami de longue date du FN
L’Autrichien HeinzChris­tian Strache, leader du FPö, est un ami de longue date du FN
 ??  ?? L’Anglais Nigel Farage, leader de l’Ukip, refuse la main tendue de Marine Le Pen
L’Anglais Nigel Farage, leader de l’Ukip, refuse la main tendue de Marine Le Pen

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