L'Obs

Football : mon coach est une femme

Les joueurs du Clermont Football 63 rencontrer­ont leur coach Helena Costa le 22 mai. En attendant, ils s’habituent à cette idée. Pas simple pour certains…

- Par Nathalie Bensahel

Lundi 12 mai, 8h45 au stade

Gabriel-Montpied à Clermont-Ferrand. Sur leur terrain de jeu planté au milieu des tours HLM au bord de la ville, les joueurs du Clermont 63 reprennent l’entraîneme­nt pour préparer le dernier match de la saison contre Tours le vendredi 16 mai. Une ultime reprise de fin de saison un peu poussive pour le club profession­nel – le crachin n’aide pas, ce matin-là –, sans trop d’enjeu en vérité, le club, 14e de Ligue 2, ne peut pas descendre au classement.

A vue de nez, une séance comme les autres, chacun dans son rôle, les joueurs en exercices, Régis Brouard – l’entraîneur qui quitte le club après deux saisons – sur le bord du terrain. Pas de commentair­es, de l’action… enfin, apparemmen­t. Parce que tout a changé à Clermont depuis ce mercredi 7 mai à 8h30 quand le directeur sportif Olivier Chavanon a annoncé aux joueurs que leur prochain entraîneur serait « une » entraîneur, la coach portugaise Helena Costa (photo). Pour la planète entière, cette annonce a résonné comme un fait de société majeur, un inédit historique, une première femme responsabl­e d’une équipe pro masculine. Pour les gars de Clermont, c’est la sidération et c’est en train de devenir leur quotidien. « Ça a été une énorme surprise, on était cloué, aujourd’hui on s’y est “presque” habitué alors que personne ne la connaît encore », dit Jacques Salze, 27 ans, défenseur central de l’équipe. Dans le vestiaire, il raconte la scène de la révélation: « Chavanon nous a parlé dans un silence absolu, personne n’a moufté, il n’y a pas eu de questions, il nous a expliqué qu’Helena Costa éta itle choix deClaudeMi­chy, le propriétai­re et président du club, quec’était bien pour Clermont, que les joueurs allaient avoir la chance de se montre ret d’êtrevus, sil’on en juge par l’attraction médiatique de cettenomin­ation. » Fermez le ban.

Devant le staff, personne ne commente et la décision du président s’impose. C’est toujours comme ça à Clermont, on sait que Claude Michy aime les coups, son métier c’est l’événementi­el sportif. Et là c’est franchemen­t réussi. Mais à l’écart des coachs, les joueurs se lâchent: « C’est qui? » ; « Elle a quel âge? » ; « Aquoi elle ressemble? » et puis aussi: « Ohnon, pasunefemm­e! » Forcément (après tout, on est dans un vestiaire de foot), certains ne se privent pas de grosses vannes macho, d’autres se chambrent et imaginent, tout en lourdeur, comment ils seront avec la coach sur le terrain et dans le vestiaire.

Mais ce lundi, tout le monde a oublié les mauvaises blagues misogynes. « J’ai trouvé les garsv achemen tou vertsà l’annoncede l’arrivée de Costa, s’étonne presque Olivier Chavanon. Jem’attendais à une réaction plus dure. » En vérité, les footballeu­rs de Clermont ne savent pas du tout à quoi ressembler­a leur vie la saison prochaine, tellement ce coaching au féminin est un épisode inédit de l’histoire du foot. Et il a fallu que ça tombe sur eux. « Moi, perso, çam’a fait plutôt sourire, poursuit Jacques Salze, maisil y en a dans le club qui avaient idéalisé leur futur coach. Il y avait des rumeurs sur le remplaçant de Régis Brouard depuis qu’il avait annoncé son départ, mais en vérité on pensait plutôt au coach d’une grande équipe, notamment Elie Baup de Marseille. On s’attendait à tout mais forcémentp­asàça. »

Pour ces joueurs de 2e division (le club a perdu 0-3 contre Troyes à domicile vendredi 9 mai après une défaite contre Dijon la semaine précédente), la folie médiatique de l’aventure annoncée les dépasse carrément. Mais ils ont aussi très vite compris l’intérêt de

se retrouver sous les feux de la rampe. Une visibilité sans précédent pour un club de ce niveau, dont les joueurs sont peu ou pas du tout connus. « Et pour

quoi pas une femme ?, ont expliqué le défenseur Cédric Avinel et les milieux de terrain Yannis Salibur et Thibault Moulin. Il faudra simplement s’habituer mutuelleme­nt, c’est tout. » Pour Saïd Belkhiri, le patron des Bad Wizards, et Véronique Soulié, de l’Amicale de Clermont Foot, les deux associatio­ns de supporters du club, Helena Costa, c’est LA chance de Clermont,

après une saison décevante. « C’est bien que cette première historique arrive dans un club de transition comme chez nous, dit Belkhiri. D’une certaine façon, tout le monde peut avoir à y gagner, on a beaucoup de choses à faire ici, j’espère juste que Michy donnera des moyens à la nouvelle coach et qu’il lui permettra de faire venir de nouveaux joueurs. Cette histoire n’aurait pas pu se produire à Marseille, un grand club 100% macho.

« En vérité, on est tous un peu macho dans le foot, dit un jeune joueur dans le

vestiaire, même Claude Michy a dit qu’il était macho à la télé et pourtant ça ne

On dit qu’elle n’est pas commode, mais si ça veut dire exigeante et rigoureuse, ce sera parfait. LE DIRECTEUR SPORTIF OLIVIER CHAVANON

l’a pas empêché d’embaucher Costa. »

Salze ajoute : « Nous, on a déjà une femme dans le vestiaire, elle est kiné, on s’y est habitué, on se balade à poil, je veux dire en caleçon, et ce n’est plus du tout un sujet. »

Dimanche soir dernier, tous les joueurs et les membres du staff de Clermont ont vu pour la première fois Helena Costa… à la télé, elle était l’invitée très spéciale du « Canal Football Club ». Une jolie femme brune et souriante de 36 ans, les cheveux lisses et longs, les ongles vernis, qui parle un français encore hésitant et s’est exprimée en portugais. Très déterminée, elle demande à être jugée sur ses résultats. Et s’est payé le luxe de ne pas répondre au commentate­ur sportif Pierre Ménès qui lui a posé une question sur sa vie privée. « On dit qu’elle n’est pas com

mode, commente Chavanon, mais si “pas commode” ça veut dire exigeante et rigoureuse, ce sera parfait. » Pourtant tous les coachs du monde le disent : dès qu’ils deviennent profession­nels, les footballeu­rs, même les plus jeunes et les moins bien placés du classement, sont plus difficiles à gérer. Armés de

gros ego, ils se préoccupen­t beaucoup de leur carrière et rarement du collectif auquel ils appartienn­ent. Et si Helena Costa a déjà entraîné des femmes en profession­nel (au Qatar et en Iran), elle ne connaît l’univers pro masculin qu’en section amateur. « C’est forcément compliqué et difficile d’entraîner des mecs avec des entourages et des agents,

explique Brouard. Mais paradoxale­ment, le fait que l’entraîneur soit une femme, cela peut, au moins dans un premier temps, imposer le respect. Les joueurs seront probableme­nt plus distants et moins familiers. »

Dans le vestiaire de Gabriel-Montpied, personne ne dira jamais que la décision de Claude Michy n’est pas la bonne pour Clermont. Ce serait politiquem­ent beaucoup trop incorrect. « C’est une nouvelle option, il faut la sai

sir, en profession­nel », comme dit Chavanon. Après, la dame sait qu’elle est attendue au tournant et que, si elle obtient des résultats, on trouvera ça normal, mais que si elle échoue on dira que c’est parce que c’est une femme et que ça ne peut pas marcher dans le foot. Mais ça, ce sera après…

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L’équipe de Clermont 63 à l’entraîneme­nt
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