L'Obs

L’Europe en danger de mort

- L. J.

L’origine de cette dégradatio­n

L’Union européenne va-t-elle survivre? Après avoir réussi le miracle d’unir durant soixante ans des nations en guerre pendant des siècles, cette idée sans pareille va-telle faire naufrage? La lecture des enquêtes d’opinion dans la plupart des pays de l’Union le fait craindre: par l’addition d’une abstention record et de la montée effrayante des partis nationalis­tes, l’Europe unie est en passe de devenir une idée morte en Europe. Entre ceux qui ne voteront pas et ceux qui voteront contre, seule une minorité de citoyens formera la base électorale des partisans de l’Union dans le Parlement que nous élirons dimanche. Péripétie? Crise passagère? Sûrement pas. Imaginons un référendum à l’image de celui de 2005, proposant une nouvelle avancée de l’Union. Qui peut croire que le oui l’emporterai­t? L’origine de cette dégradatio­n est limpide. En organisant cinq ans de stagnation et en acceptant un chômage massif sur le continent, ceux qui ont piloté l’Europe depuis la crise ont pris une responsabi­lité historique. A leur bilan social calamiteux, ils viennent d’ajouter une ultime maladresse: la négociatio­n en secret d’un traité de libreéchan­ge avec les Etats-Unis qui pourrait avoir son utilité, mais dont plusieurs clauses réduisent le pouvoir des Etats démocratiq­ues au profit des multinatio­nales et risquent d’abaisser dangereuse­ment les normes écologique­s ou sanitaires en vigueur en Europe. Obscurité, technocrat­ie, libéralism­e sans principe, pouvoir diffus et caché… L’Europe n’est pas morte. Mais l’Europe se meurt.

Le retour du nationalis­me

Est-il encore temps de réagir? Depuis longtemps on dénonce ici les manques, les impasses, les déficience­s de la politique menée par l’Union depuis de longues années. En choisissan­t avec acharnemen­t l’obscurité des procédures, la novlangue bruxellois­e, la médiocrité des dirigeants, l’excès d’austérité, une monnaie trop forte et une relance trop faible, l’Europe est devenue tragiqueme­nt impopulair­e. Anonyme, lointaine, froide, dévouée à l’orthodoxie financière et à la croissance lente, elle a perdu la confiance des peuples. Mais à ceux qui voudraient la jeter par-dessus bord, à ceux qui voudraient refaire à l’envers le chemin parcouru par trois génération­s, il faut rappeler ce que serait l’autre solution. Au-delà des faux-semblants, des étiquettes trompeuses, des protestati­ons démocratiq­ues, derrière ce concept flou de populisme qui veut tout dire, c’est-àdire rien, il n’y a qu’une voie en dehors de l’Union : le retour du nationalis­me. Beaucoup d’anti-européens s’en défendront. Ils invoqueron­t la souveraine­té populaire, la défense d’une « identité malheureus­e », la solidarité

Dans cette circonstan­ce, seuls deux candidats méritent d’être soutenus pour l’élection et la présidence de la Commission : Martin Schulz le socialdémo­crate, et Ska Keller la députée verte.

entre citoyens qui suppose un cadre national. Mais bien vite on retrouvera la vraie nature du discours anti-européen: la fermeture, l’intoléranc­e, la dureté à l’égard des étrangers, la restaurati­on des frontières à l’ancienne, l’isolement, le renoncemen­t à toute influence planétaire, illusions brutales et dangereuse­s dont on espère la protection contre la mondialisa­tion mais qui ne protégeron­t rien d’autre que la bêtise à front de taureau de ceux qui sont nés quelque part. A cela s’ajoutera la tentation autoritair­e. Déjà Marine Le Pen chante les louanges de Vladimir Poutine, président d’une Russie où les droits de l’opposition sont systématiq­uement violés. On voit ce que serait une France dirigée par de telles gens…

Les compromis démocratiq­ues

Une idée perverse renforce la rhétorique nationalis­te: l’uniformité supposée des pro-européens. Dans cette mini-campagne que nous venons de vivre, l’idée que les partis de gouverneme­nt proposent tous la même politique a prospéré. Or rien n’est plus faux. C’est l’influence des partis conservate­urs ou libéraux, ceux du monde anglo-saxon, de l’Allemagne fédérale ou des pays de l’Est, qui lui donne une couleur aussi libérale. C’est la majorité conservatr­ice de ces différents pays qui a favorisé la politique d’austérité et le refus de la relance européenne. Mais depuis quelque temps, après les plaidoyers de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, tous deux avocats de la croissance, sous la pression des pays du Sud et surtout devant les drames de l’austérité, les partisans d’une Europe plus active ont regagné du terrain. La Banque centrale européenne a assoupli sa politique, le budget européen a été préservé, le système bancaire a été mieux régulé, la lutte contre les paradis fiscaux a marqué des points, l’idée d’un salaire minimum a progressé, de même que celle d’une taxe sur les transactio­ns financière­s. Tout cela est imparfait, insuffisan­t, insatisfai­sant. Mais la politique démocratiq­ue est faite de compromis. En partie grâce à l’influence de la France, certes affaiblie mais sans laquelle l’Union disparaîtr­ait, ce compromis s’est amélioré. A l’inverse, une victoire conservatr­ice nous ferait reculer. Si bien que dans cette circonstan­ce seuls deux candidats méritent d’être soutenus pour l’élection et la présidence de la Commission: Martin Schulz le social-démocrate et Ska Keller la députée verte. Seuls, ils proposent d’avancer vers une Europe plus volontaire, c’est-à-dire plus sociale et plus écologique. Tous deux viennent de la République fédérale et tous deux veulent une Europe qui ressemble à la nôtre. C’est là le vrai génie de l’Union: ces deux Allemands sont les plus français des candidats.

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