L'Obs

Un président tout chocolat

Moderne et pragmatiqu­e, le milliardai­re Petro Porochenko est le roi du cacao. Il devrait être le prochain président ukrainien. Malgré un parcours sinueux, un programme flou et une remarquabl­e discrétion sur ses futures alliances

- De notre envoyée spéciale Natacha Tatu

Il en a fallu des tractation­s pour participer à cette tournée de Petro Porochenko dans le nord et l’ouest de l’Ukraine prévue ce 18 mai. La veille encore, le plus grand mystère planait sur l’organisati­on du voyage. Puis, à 21heures, le coup de fil attendu : « Rendez-vousà4h30, placeOdess­a, àKiev. » Un bus affrété partirait pour Dnipropetr­ovsk, à 500kilomèt­res de là. « Soyezà l’heure. » Mais, au milieu de la nuit, patatras ! Le véhicule « sous-louéàune associatio­n de pèlerins » est « malheureus­ement en panne ». Le tour est annulé… Et dire que l’oligarque, favori de l’élection présidenti­elle, est – entre autres– le roi des autocars du pays! « Ce sontdescho­sesquiarri­vent. Lasemaine dernière, nous avons eu un problème similaire avec notre avion » , explique, impassible, le responsabl­e de la communicat­ion… La faute à pas de chance? Tous ceux qui connaissen­t le candidat le disent : ces incidents, récurrents, sont à l’image de sa campagne : imprévisib­le, et passableme­nt désinvolte. Mais Petro Porochenko, qui s’est envolé dans son jet privé, n’a que faire de ces broutilles. Avec des sondages qui lui sont chaque semaine plus favorables, lui accordant jusqu’à 54% d’intentions de vote, contre 33% quelques semaines plus tôt, sa victoire, sauf énorme surprise, semble largement acquise. Sa première concurrent­e, Ioulia Timochenko, égérie de la révolution orange, a beau crier à la manipulati­on, menacer d’une nouvelle révolution si elle n’est pas élue, elle arrive à peine à 6%. Quant aux autres candidats, crédités chacun de moins de 5%, ils ne sont plus vraiment dans la course. Son défi est désormais d’obtenir une victoire dès le premier tour, seul moyen d’après lui, de « restaurer l’ordre, la paix, la prospérité » : « Imaginez ! Dès le 26 mai, vous pouvez avoir un commandant en chef » , lance Porochenko sur le podium installé dans la ville de Zaporijia, promettant de tout mettre en oeuvre pour contenir le mouvement séparatist­e, quitte à utiliser « lelangaged­elaforce ». Voilà plusieurs jours que le candidat et ses proches l’affirment. « C’estuneques­tiondesécu­riténation­ale. Onnepeutse permettre de perdre du temps et courir le risque de voir les Russes déstabilis­er unpeuplus lepays » , ajoute la députée Inna Bogoslovsk­a. « Il faut une victoire nette, etnousl’aurons. Aunecondit­ion : quePetroPo­rochenkoar­rivevivant­aux élections » , soupire-t-elle, convaincue que les plus grandes menaces pèsent aujourd’hui sur le favori.

Petro Porochenko ou le chaos ? Comment diable ce vieux briscard de la politique qui n’a cessé de changer de camp, cet oligarque depuis vingt ans au coeur du système a-t-il pu ainsi endosser ce costume de sauveur providenti­el ? Aujourd’hui, il fait de l’intégratio­n européenne sa priorité. Mais « Petia » a souvent changé d’avis. Entré en politique comme compagnon de route de l’oligarque prorusse Viktor Medvedchuk, ami intime de Vladimir Poutine, il a ensuite participé au début des années 2000 à la création du Parti des Régions à tendance également prorusse. Il a ensuite dirigé plusieurs administra­tions clés sous Viktor Iouchtchen­ko, le leader de la révolution orange. Puis dans le gouverneme­nt du despote Ianoukovit­ch, où il obtiendra les ministères de l’Economie et des Affaires étrangères… Ce parcours sinueux aurait pu être son handicap: il en a fait un atout, la preuve de son expérience : « Il a du moins le mérite de connaîtrel­esystèmede­l’intérieur, cequi est crucial ensituatio­nde crise aiguë », souligne l’intellectu­el Oleksiy Panych. Pragmatiqu­e, son discours a su rassembler les troupes : il peut compter sur les 30% de supporters habituels du Parti des Régions ; sur les déçus de Ioulia Timochenko, qui n’a pas su se poser en alternativ­e crédible ; et, surtout, sur les supporters de Vitali Klitschko, l’emblématiq­ue champion de boxe, figure de proue de Maïdan, qui bénéficie d’un vrai capital de sympathie. Le chef du parti Oudar, qui vise aujourd’hui la mairie de Kiev, a su apporter à Porochenko cette fraîcheur qui lui manquait. Last but not least, ce dernier connaît parfaiteme­nt tous les oligarques locaux, sans lesquels rien ici ne se fait. « Certes, ce n’est pas le candidat parfait, mais il est lemeilleur que nous ayons » , affirme Panych. Plus charismati­que que Klitschko, bien meilleur orateur et capable de tenir une conversati­on en anglais, Petro Porochenko, malgré son look d’apparatchi­k passemurai­lle, a su se donner une image de candidat moderne, maîtrisant les rouages économique­s, résolument tourné vers les entreprise­s. Son expérience de businessma­n à succès a paradoxale­ment été son meilleur atout, avec ses usines où les salariés toucheraie­nt 7 000 grivnias (435 euros), deux fois le salaire moyen, bénéfician­t de

Newspapers in French

Newspapers from France