L'Obs

“Les gouverneme­nts agissent sans vision”

Avant le congrès de Marseille, le secrétaire général de la CFDT dresse un bilan des principale­s réformes sociales

- Par Sylvain Courage et Sophie Fay

Le Nouvel Observateu­r. La CFDT prône depuis quarante ans le dialogue social, auquel ce gouverneme­nt comme celui de Jean-Marc Ayrault se disent attachés. Etes-vous satisfait des progrès réalisés ? Laurent Berger. Cela dépend dans quel domaine. L’espace laissé au dialogue social en 2013 a permis des avancées substantie­lles sur l’emploi, le travail, la formation, qu’il faut maintenant appliquer. Le gouverneme­nt a fait davantage pour le dialogue social dans les entreprise­s que dans la fonction publique. Aujourd’hui, les fonctionna­ires ont le moral dans les chaussette­s. Et on les comprend : cela fait des années qu’ils font des efforts et subissent les conséquenc­es de réformes et de plans d’économies à courte vue. Les agents le vivent comme une perte de reconnaiss­ance. A cela s’ajoute bien sûr le fait que, depuis cinq ans, leurs rémunérati­ons n’ont pas été revalorisé­es. Les fonctionna­ires sont considérés comme une charge, jamais comme des actifs utiles à la société. Les gouverneme­nts successifs réduisent les effectifs, durcissent les conditions de travail sans jamais, hélas, se poser la question du sens et de la qualité du service public et sans redéfinir ses missions. Vous attendiez du gouverneme­nt une vraie réforme de l’Etat… Ce travail aurait dû être fait il y a quinze ans. Dans ce domaine, comme dans la politique économique en général, les gouverneme­nts agissent sans vision. Aujourd’hui, notre pays est à la croisée des chemins, obnubilé par les impératifs comptables – taux de croissance, niveau des déficits, de la dette… – et incapable de s’intéresser au contenu de la croissance, à sa qualité. Or l’horizon ne peut se limiter aux efforts à fournir. Il faut aussi dire pourquoi des ajustement­s sont nécessaire­s, quel type de société est privilégié, et vers quel destin collectif on s’oriente. Aujourd’hui les Français sont très pessimiste­s. Il faut redonner des raisons de croire en l’avenir de la société pour mettre fin à la montée dangereuse des replis. Malgré ce discours critique, la CFDT apparaît comme le premier partenaire du gouverneme­nt en matière de réformes… Contrairem­ent à d’autres organisati­ons, la CFDT n’a pas appelé à voter pour cette majorité ou pour une autre. La réforme du marché du travail qui a abouti à la loi sur la sécurisati­on de l’emploi, c’est nous qui l’avons demandée. Nous voulions aussi faciliter le recours au chômage partiel, son améliorati­on a permis d’éviter beaucoup de licencieme­nts. Nous avons également défendu le renforceme­nt du rôle des représenta­nts du personnel dans l’entreprise. Les syndicats intervienn­ent trop souvent en situation d’urgence. Pour réduire la précarité et sauvegarde­r l’emploi, les représenta­nts du personnel bénéficier­ont, grâce à nous, d’un regard sur la stratégie avant qu’il ne soit trop tard... Croyez-vous à la réussite du pacte de responsabi­lité? Nous n’en avons pas pris l’initiative, mais nous avions engagé une réflexion sur la compétitiv­ité, en précisant que la compétitiv­ité hors coût du travail est aussi importante que la compétitiv­ité liée au coût du travail. Par exemple, pourquoi le travail devrait-il supporter seul le poids du financemen­t de la politique familiale ? Pourquoi ne pas asseoir une partie des financemen­ts sur les revenus du capital ? Nous

Notre ligne a du succès. Tant pis pour ceux qui nous critiquent.

C’est parce que la CFDT est constante dans ses demandes et son approche, ce sont les gouverneme­nts qui changent. L’important, ce sont les résultats concrets pour les salariés. Qu’avonsnous apporté en 2013 ? Une améliorati­on de la prise en compte du chômage partiel, des droits rechargeab­les pour les chômeurs, des complément­aires santé payées à 50% par les employeurs pour tous les salariés, une durée minimale de 24 heures du temps partiel, la création d’un compte pénibilité, une améliorati­on des droits à la retraite des apprentis, la baisse de 200 heures à 150 heures de travail pour le calcul d’un trimestre de retraite… Quel autre syndicat peut en dire autant ? La situation sociale est insupporta­ble : plus de 3 millions de chômeurs, une pauvreté qui progresse. L’immobilism­e est une faute. Pour combattre les injustices, il faut avancer. Cela passe par des compromis. Le taux de croissance est très bas, voire nul. Que proposez-vous pour relancer l’activité? Nous disons surtout qu’il faut s’interroger sur le contenu de la croissance et penser un autre mode de développem­ent davantage axé sur la qualité. Un développem­ent qui articule véritablem­ent les enjeux économique­s avec les enjeux sociaux et environnem­entaux, en mettant l’humain au centre.

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