“Les gouvernements agissent sans vision”
Avant le congrès de Marseille, le secrétaire général de la CFDT dresse un bilan des principales réformes sociales
Le Nouvel Observateur. La CFDT prône depuis quarante ans le dialogue social, auquel ce gouvernement comme celui de Jean-Marc Ayrault se disent attachés. Etes-vous satisfait des progrès réalisés ? Laurent Berger. Cela dépend dans quel domaine. L’espace laissé au dialogue social en 2013 a permis des avancées substantielles sur l’emploi, le travail, la formation, qu’il faut maintenant appliquer. Le gouvernement a fait davantage pour le dialogue social dans les entreprises que dans la fonction publique. Aujourd’hui, les fonctionnaires ont le moral dans les chaussettes. Et on les comprend : cela fait des années qu’ils font des efforts et subissent les conséquences de réformes et de plans d’économies à courte vue. Les agents le vivent comme une perte de reconnaissance. A cela s’ajoute bien sûr le fait que, depuis cinq ans, leurs rémunérations n’ont pas été revalorisées. Les fonctionnaires sont considérés comme une charge, jamais comme des actifs utiles à la société. Les gouvernements successifs réduisent les effectifs, durcissent les conditions de travail sans jamais, hélas, se poser la question du sens et de la qualité du service public et sans redéfinir ses missions. Vous attendiez du gouvernement une vraie réforme de l’Etat… Ce travail aurait dû être fait il y a quinze ans. Dans ce domaine, comme dans la politique économique en général, les gouvernements agissent sans vision. Aujourd’hui, notre pays est à la croisée des chemins, obnubilé par les impératifs comptables – taux de croissance, niveau des déficits, de la dette… – et incapable de s’intéresser au contenu de la croissance, à sa qualité. Or l’horizon ne peut se limiter aux efforts à fournir. Il faut aussi dire pourquoi des ajustements sont nécessaires, quel type de société est privilégié, et vers quel destin collectif on s’oriente. Aujourd’hui les Français sont très pessimistes. Il faut redonner des raisons de croire en l’avenir de la société pour mettre fin à la montée dangereuse des replis. Malgré ce discours critique, la CFDT apparaît comme le premier partenaire du gouvernement en matière de réformes… Contrairement à d’autres organisations, la CFDT n’a pas appelé à voter pour cette majorité ou pour une autre. La réforme du marché du travail qui a abouti à la loi sur la sécurisation de l’emploi, c’est nous qui l’avons demandée. Nous voulions aussi faciliter le recours au chômage partiel, son amélioration a permis d’éviter beaucoup de licenciements. Nous avons également défendu le renforcement du rôle des représentants du personnel dans l’entreprise. Les syndicats interviennent trop souvent en situation d’urgence. Pour réduire la précarité et sauvegarder l’emploi, les représentants du personnel bénéficieront, grâce à nous, d’un regard sur la stratégie avant qu’il ne soit trop tard... Croyez-vous à la réussite du pacte de responsabilité? Nous n’en avons pas pris l’initiative, mais nous avions engagé une réflexion sur la compétitivité, en précisant que la compétitivité hors coût du travail est aussi importante que la compétitivité liée au coût du travail. Par exemple, pourquoi le travail devrait-il supporter seul le poids du financement de la politique familiale ? Pourquoi ne pas asseoir une partie des financements sur les revenus du capital ? Nous
Notre ligne a du succès. Tant pis pour ceux qui nous critiquent.
C’est parce que la CFDT est constante dans ses demandes et son approche, ce sont les gouvernements qui changent. L’important, ce sont les résultats concrets pour les salariés. Qu’avonsnous apporté en 2013 ? Une amélioration de la prise en compte du chômage partiel, des droits rechargeables pour les chômeurs, des complémentaires santé payées à 50% par les employeurs pour tous les salariés, une durée minimale de 24 heures du temps partiel, la création d’un compte pénibilité, une amélioration des droits à la retraite des apprentis, la baisse de 200 heures à 150 heures de travail pour le calcul d’un trimestre de retraite… Quel autre syndicat peut en dire autant ? La situation sociale est insupportable : plus de 3 millions de chômeurs, une pauvreté qui progresse. L’immobilisme est une faute. Pour combattre les injustices, il faut avancer. Cela passe par des compromis. Le taux de croissance est très bas, voire nul. Que proposez-vous pour relancer l’activité? Nous disons surtout qu’il faut s’interroger sur le contenu de la croissance et penser un autre mode de développement davantage axé sur la qualité. Un développement qui articule véritablement les enjeux économiques avec les enjeux sociaux et environnementaux, en mettant l’humain au centre.