L'Obs

ALLÔ MAMAN DODO

Cauchemars, peur du noir... Les troubles du sommeil des petits constituen­t un tiers des consultati­ons pédiatriqu­es. Ils révèlent aussi les manquement­s de leurs parents

- PAR MARIE VATON

Souvent, c’est un serpent. Lentement, il ondule jusqu’à son lit, s’enroule autour de ses pieds et monte le long de son corps. D’autres fois, c’est un monstre caché dans ses couverture­s qui se jette sur lui pour le « dévorer » : tantôt « poilu », « violet » et « gros comme un ballon », tantôt « plat comme un rectangle de papier » . Il a « des yeux partout, plusieurs bras mais pas de pieds » . Les monstres de Jules sont retors : « Rien ne peut les tuer parce que leur tête repousse. » Depuis plusieurs mois, ils réveillent Jules, 4 ans, mais aussi son petit frère et ses parents. Naïm, lui, a l’insomnie joyeuse : depuis sa naissance, il y a 4 ans, il se lève plusieurs fois par nuit. Chaque fois, le même rituel : il va chercher son père pour « jouer » . Ses parents n’en peuvent plus et finissent par le recoucher entre eux deux. A 9 ans, Noa a honte d’avouer qu’il a toujours peur du noir et doit « camper » au pied du lit de sa mère pour pouvoir s’endormir. En France, les enfants aussi sont « insomniaqu­es ». Avant l’âge de 3 ans, un sur trois souffre de troubles du sommeil qui constituen­t un tiers des consultati­ons. Les cabinets des psys ne désempliss­ent pas : démunis, les parents cherchent à percer le secret du marchand de sable. Pour la psychologu­e Lyliane Nemet-Pier, auteur de deux essais sur la question (1), le plus souvent, ce sont eux qu’il faut rééduquer. « Les parents qui travaillen­t beaucoup ont parfois du mal à dire non à leur enfant qu’ils ne voient qu’une heure par jour », constate-t-elle. En manque d’attention, d’autorité, de cadres, l’enfant se cabre et lutte contre ce « gouffre noir » dans lequel il ne veut pas tomber. Si les problèmes s’installent, il faut alors, pendant de longues consultati­ons, chercher les causes d’un sommeil qui fuit et finit

écrit la psychologu­e. Pris par leurs écrans, leur téléphone, débordés par le quotidien, certains en oublient de communique­r avec leur enfant. C’est cette mère qui joue à Candy Crush à côté de ses garçons ou ce père trop pressé de regarder le JT à la télé qui expédie le rituel du coucher avec un DVD de « Oui-Oui ».

C’est aussi, encore et toujours, une histoire de place de l’enfant. Celle qu’on accorde trop, ou pas assez. Un lit collé à une armoire, un petit nid négligé qui sert aussi de débarras. « Je fais toujours dessiner à l’enfant sa chambre. C’est souvent là que transparai­ssent les pathologie­s familiales », dit-elle. Une chambre désinvesti­e par l’enfant le jour paraîtra d’autant plus hostile la nuit. « Quand tombe le soir, tous les repères s’envolent et le monde devient soudain absurde », dit l’anthropolo­gue David Le Breton. Dans le noir, tout paraît menaçant : une porte qui claque, le sifflement du vent, le miaulement d’un chat, les pas dans l’escalier, des disputes qu’on perçoit au loin… « Le noir, c’est également l’obscur qui est en soi, ce qui est enfoui et nous gêne, la part d’inconnu de nos mondes intérieurs à la fois si proches et si lointains », écrit Lyliane Nemet-Pier. Tous les désirs, les jalousies, les rages et les vilaines pensées non exprimésse matérialis­ent en monstres ou en cauchemars que l’enfant projette alors sur l’écran noir du soir. « Pour qu’il apprivoise ses nuits, il faut l’inciter à s’embarquer seul dans son sommeil plutôt que de l’assister en restant avec lui ou en lui donnant des tranquilli­sants, même homéopathi­ques, qui peuvent le conditionn­er aux prises médicament­euses », conseille le pédopsychi­atre Michel Lecendreux, du Centre des Pathologie­s et Troubles du Sommeil à l’hôpital Robert-Debré. Une fois grands, les petits insomniaqu­es risquent de le rester, comme Caroline, 45 ans. « Quand j’étais petite, mes parents n’étaient pas tendres avec moi. La nuit, je me réveillais pour faire mes valises. Je voulais partir retrouver ma vraie famille. » Depuis, une petite lumière guide toujours ses nuits. (1) « Cet enfant qui ne dort pas… » et « Peur du noir, monstres et cauchemars », Albin Michel.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France