Avatars d’inventeurs
Certains linguistes estiment qu’il s’est noyé dans le gigantisme de son entreprise. « Iln’ajamaisréellementterminé ses langues », affirme son plus grand exégète et successeur à Oxford, Tom Shippey. Il y en avait trop. Tolkien avait les yeux plus gros que la langue. Il n’avait pas l’humilité rigoureuse de Frédéric Werst. Beaucoup de ses langages ne sont qu’esquissés. Il a trop trituré leur histoire, suivant ses humeurs et ses enthousiasmes. Caprices de dieu, dira-t-on. Pour autant, il triomphe. Il est le père des conlangers, communauté en pleine floraison. Dans la science-fiction et l’heroic fantasy, il devient risqué de sortir un roman ou un film sans créer un langage, une carte, une histoire. Des auteurs comme Jack Vance ou Harry Harrison y ont consacré leur carrière. Mais, dans la masse contemporaine des langues inventées, pas certain que Tolkien retrouverait ses petits. En 1984, pour la sortie du space opera « Star Trek », le linguiste Marc Okrand façonne sur commande le klingon. La langue doit sonner « extraterrestre », alors Okrand empile les consonnes bizarroïdes – dentales latérales, fricatives vélaires ou occlusives glottales. Il se contente de renverser la syntaxe anglaise en une structure « complément-verbe-sujet ». Quelques trekkers, comme on appelle les fans de « Star Trek », se chargent depuis de compléter la langue, d’écrire en klingon. Il y a du boulot: premier langage à être sous copyright d’un studio de télévision, généré pour répondre à des impératifs scénaristiques précis, le klingon sait