L’air du “pas chez nous”
Dans cette petite commune de l’Aisne, le sentiment d’abandon laisse le champ libre au nouveau maire FN
Depuis combien de temps la paisible rue du Général-Mangin n’avaitelle pas connu pareille affluence? Vingt, trente, cinquante ans? Ce jour-là, le 10 mai, ils étaient des centaines à s’être rassemblés dans cette artère tranquille du coeur de Villers-Cotterêts. Là, devant l’ancien hôtel de l’Epée où est mort le général Dumas, dragon de la reine, fils d’une esclave africaine et père de l’auteur des « Trois Mousquetaires », sous une pluie battante, se dressait une forêt de parapluies noirs et de drapeaux rouges. Depuis sept ans, l’endroit accueille la Journée commémorative de l’Abolition de l’Esclavage. Mais, cette année, le nouveau maire, le frontiste Franck Briffaut, a refusé d’organiser la cérémonie. Et pourquoi donc? Parce que l’édile d’extrême-droite n’entend pas céder à ce qu’il appelle la « culpabilisationpermanente ».
Associations, partis de gauche et syndicats se sont donc passés des services municipaux pour célébrer la fin du Code noir. Sur la tribune de fortune, une caisse de bois retournée, leurs responsables se sont relayés pour fustiger tour à tour le Front national. Et puis, vers midi, la propriétaire de la boutique où la sono avait été installée a fini par s’agacer des discours de SUD et de la CGT. Parce que tout lasse, même l’indignation, parce que tout passe, même le FN et son étonnant refus de commémorer l’abolition de l’esclavage, elle a réclamé la fin de la partie. Une voisine: « D’habitude, ça n’intéresse pas grand monde, il n’y a qu’une dizaine de personnes. Ce jour-là, ils ont débarqué de Paris. Il y avait même un ministre, paraît-il [George Pau-Langevin, la ministre des Outre-Mer, NDLR]. Comme s’iln’avaitpasmieuxàfaire en cemoment! » La gérante d’une agence immobilière: « Et pourquoi pas une commémorationpour lafinde ladîme, pendant qu’ony est? Le généralDumas n’est qu’un prétexte. Tout ça, c’est de la récupérationpolitique! »
Bienvenue à Villers-Cotterêts, sa forêt domaniale peuplée de cerfs, son château Renaissance bâti par François Ier, ses anciens relais de poste pour les diligences qui faisaient la route ParisReims… et désormais sa mairie FN. Comme un symbole du malaise de ce bourg de l’Aisne, qui se vit sur le déclin.