Piketty superstar
De Washington à Pékin en passant par Londres ou Berlin, son best-seller “le Capital au siècle” réveille le débat économique. Explication
Dans les couloirs exigus et sans charme de l’Ecole d’Economie de Paris, boulevard Jourdan, dans le sud du 14e arrondissement, une équipe de télévision néerlandaise cherche le bureau de Thomas Piketty. Bâtiment B, 1er étage, lâche une jeune femme à l’accueil. Le journaliste accompagné de trois cameramen finit par trouver la bonne porte. Toc, toc. « Bonjour monsieur Piketty, où pouvons-nous filmer l’interview ? – Dans mon bureau. – Où est-il ? – Mais vous y êtes.. » Surprise ! L’économiste star devenu la coqueluche des médias du monde entier, ce chercheur que le magazine « The Economist » compare à Karl Marx, ce Français qui défraie la chronique jusqu’en Chine phosphore dans un réduit de 8 mètres carrés à la moquette bleu pétrole, sur une petite table coincée entre quatre étagères surchargées de livres et de boîtes d’archives, avec pour seul ornement un tableau couvert d’équations mathématiques…
Nul n’est prophète en son pays, et certainement pas Thomas Piketty. De retour à Paris après une tournée triomphale aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où son livre « le Capital au xxie siècle » s’est vendu à près de 400 000exemplaires, l’économiste de 43 ans demeure un universitaire parmi les autres. Et ne s’en plaint pas. Voilà quinze ans qu’il travaille sur son « Capital » et le succès planétaire qu’il rencontre le comble. Et la France rattrape son retard. « Si vous ramenez le nombre d’exemplaires vendus en France au nombre d’habitants, c’est beaucoup plus qu’aux Etats-Unis », calcule-t-il. « On atteint les 100 000 exemplaires. Il s’en vend 3000 par jour! » jubile son éditeur. Un bel exploit pour ce pavé de 950pages (700 en anglais) qui revisite l’histoire du capitalisme depuis le xviiie siècle. Sa thèse centrale ? Depuis l’origine, les revenus du capital progressent plus vite que la croissance, enrichissant inexorablement les plus riches et entraînant un creusement mécanique des inégalités. Seule exception à cette nouvelle loi d’airain: les Trente Glorieuses, qui ont vu se réduire les écarts de richesse dans les sociétés développées. Aujourd’hui, la machine inégalitaire est de nouveau à l’oeuvre comme au temps de Balzac, de Jane Austen, ou à la Belle Epoque, périodes que l’économiste juge plus représentatives de l’état naturel du capitalisme que le xxe siècle. L’étude, soigneusement chiffrée, porte donc un rude coup à la théorie libérale du « ruissellement » – la fortune des riches finit par faire celle des pauvres !– et au rêve méritocratique à l’américaine.
Une percée conceptuelle ? « Dès que l’on sort des cénacles français, les gens ne parlent que de Piketty », constate l’économiste libéral Jacques Delpla, professeur à la Toulouse School of Economics. En France, le livre, publié à la dernière rentrée scolaire, n’a pas fait tant de vagues. L’économiste a donné de nombreuses interviews, multiplié les interventions médiatiques. Mais le débat a tourné court. « Un marxisme de sous-préfecture », a balayé un peu vite l’avocat et essayiste libéral Nicolas Baverez... « Une justification du