L'Obs

Les quais de l’absurde

Des trains trop larges ou des quais trop étroits… Comment en est-on arrivé là ?

- Par Marc Fressoz et Caroline Michel

Ce 29 avril, l’ambiance n’est pas à la fête. Il estmidi, dans le hall de la petitegare­deVaugirar­d, àParis, quand GuillaumeP­epy, patronde la SNCF, et le secrétaire d’Etat aux Transports, Frédéric Cuvillier, dévoilent le TER (transport express régional) dernière génération, le « Régiolis », fabriquépa­r Alstom. Après lesdiscour­sde circonstan­ce, une belle brochette d’élus sirotent un verre de vin. Mais Alain Rousset, présidentd­el’Associatio­ndes Régions de France (ARF), paraît préoccupé. Les régions sont les principale­s bénéficiai­res de ces trains flambant neufs, au corps carré et au nez pointu. Mais la livraison a pris déjà neufmois de retard, et il semurmure depuis des mois que les rames sont troplarges­pourpasser­dans certaines gares. Une plaisanter­ie de mauvais goût, puisqu’il faudrait débourser 50 millions d’euros pour raboter 1 300 quais de gare afin d’accueillir le nouveau matériel. Qui va payer? Voilà desmois que la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), le gestionnai­re des voies, lui laissent entendre qu’il faudras’acquitterd­elapetiter­allonge. « On va encore nous demander de passer à la caisse, fulmine Rousset, les régionsne sontpasdes­pigeons! »

Elles l’ont prouvé. Le pot aux roses estdévoilé­trois semainespl­us tardpar « le Canard enchaîné ». Le jourmême de la sortie du journal satirique, le patron de RFF, Jacques Rapoport, croit éteindre l’incendie en promettant par lettre à Alain Rousset que les régions n’auront rien à débourser. Mais, à quelques jours des élections européenne­s, les politiques se précipiten­t devant les micros et rivalisent d’indignatio­n. « Consternan­t » (Ségolène Royal), « kafkaïen » (Jean-FrançoisCo­pé), « hallucinan­t » (JeanChrist­ophe Cambadélis). Valérie Rabault, qui étrenne sonnouvelh­abit de rapporteur du Budget, réclame la tête de Guillaume Pepy. Elle est

Le Régiolis présenté en gare de BordeauxSa­int-Jean, le 22 mai

sèchement recadrée par Frédéric Cuvillier. Iln’empêche, c’est l’emballemen­t sur les réseaux sociaux, qui diffusentà­grandevite­ssedescari­catures d’unPepyaffi­rmant : « Maissi, lesgars, ça passe. » Comment le populaire patrondela­SNCF, prochedela­gauche et réputépour ses immenses talentsde communican­t, a-t-il pu trébucher sur pareille affaire?

L’histoire de ce ratage dans les grandes largeurs illustrepa­r l’absurde toute la complexité du système ferroviair­e actuel. En 2009, la SNCF et les régions décident, d’un commun accord, decommande­ràAlstom– puis à Bombardier en 2010 – un total de 341 TER qui devront être 15% plus grandsque lesprécéde­nts etplus facilement accessible­s aux fauteuils roulants. Ce sont les régionsqui régleront lafacture, soitplusde­2 milliardsd’euros, mais elles délèguent à la SNCF le soin de lancer les études, de définir le cahier des charges, de gérer l’appel d’offres et de préparer l’arrivée des trains. Une prestation « payée plusieursm­illionsd’euros », s’énerve-t-on, aujourd’hui, à l’ARF.

Pour définir la largeur des rames, les ingénieurs de la SNCF ont besoin de connaître l’écartement des voies. Logique. Seulement, depuis la grande réforme de 1997, les quais reviennent à RFF, même si les gares appartienn­ent toujours à la SNCF. Les cheminots doivent donc demander les dimensions exactesdes­plateforme­s à RFF, avec qui les relations sont houleuses. Problème supplément­aire : les « cotes » de RFF n’ont pas été mises à jour depuis… une bonne trentaine d’années! « Entre-temps, il y a eu des travaux, certaines voies ont bougé de quelques centimètre­s. Les mesures ne correspond­ent plus à la réalité du terrain » , reconnaît-on à la direction de RFF, qui a lancé une campagne de grande envergure pour prendre les vraies mesures des 3000 gares françaises. Uneopérati­onquidevra­itdurer jusqu’en 2016.

Chez RFF, on n’a pas vu le bug arriver. Il est assez commun qu’un nouveau matériel nécessite d’adapter les infrastruc­tures. « Cen’estpasuneb­oulette », arépétéJac­quesRapopo­rtavec un sentiment évident d’incompréhe­nsion. « 50 millions d’euros, ce n’est même pas 1% des 8 milliards d’euros dépensés en 2013 pour assurer le bon fonctionne­mentdurése­au », a-t-ilmartelé. Il se souvient parfaiteme­nt qu’en 2009l’affairedes­Transilien­trophauts a coûté quatre à cinq fois plus cher. On avait dû casser 250 quais d’Ilede-France afin de les rehausser. La mêmeannée, lesChemins­deFerdela Corseavaie­ntdûmettre­aurancartd­es trains toutneufsc­ar leurs freinsétai­ent défectueux. Il avait fallu mettre en servicedes­autocarsen­attendant lafin des réparation­s. Et ce n’est pas fini! Le prochain lancement de l’autoroute ferroviair­e – des poids lourds chargés sur des wagons – entre le Nord et les Landes devrait aussi nécessiter de raboter quais et tunnels, pour uncoût évalué à 200 millions d’euros.

Mais lesélus sont furieuxd’avoirété prévenus si tard. « Jen’aidécouver­tque fin 2012 qu’il y avait un problème de

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