L'Obs

Faut-il avoir peur du classement Pisa ?

Des enseignant­s et parents américains partent en guerre contre le test de l’OCDE. Révélant le médiocre niveau de leurs élèves, il a entraîné une réforme sans précédent… et contestée

- Par Véronique Radier

Vous ne connaissez sans doute pas Andreas Schleicher. Ce discret mathématic­ien allemand et chercheur en éducation est pourtant, à sa façon, une vedette mondiale. Un VIP (Very Important Person) au sens propre du terme. On lui doit en effet le célèbre Pisa (Program for Internatio­nal Student Assessment) de l’OCDE. Une série d’épreuves et de tests menés auprès des jeunes de 15 ans depuis 2000 destinés à évaluer l’efficacité des systèmes éducatifs dans une soixantain­e de pays. Autrement dit non pas tant à jauger les connaissan­ces académique­s des ados, mais leurs « compétence­s », leur capacité à résoudre des questions concrètes, interpréte­r des documents, etc.

Depuis sa première édition, en 2000, Pisa vaut à Andreas Schleicher plus d’une volée de bois vert. Dernière en date, une lettre ouverte dans le quotidien britanniqu­e « The Guardian ». Elle est signée d’un collectif d’une centaine d’enseignant­s, responsabl­es éducatifs et parents d’élèves de différents pays (Suède, Nouvelle-Zélande, GrandeBret­agne et surtout Etats-Unis). Le directeur de l’éducation de l’OCDE, ditelle, est devenu un dictateur tout-puissant, imposant au monde ses credo, rêvant de réduire l’école à un rôle purement utilitaire, voire de la « marchandis­er ». Chef de file de cette fronde, un universita­ire new-yorkais en sciences de l’éducation, Heinz-Dieter Meyer, assure : « Pisa est devenu le standard global de l’éducation. Il dévoie la démocratie. » Katie Zahedi, proviseure d’un collège public new-yorkais, reprend ainsi des critiques souvent entendues en France : « On ne peut réduire le rôle de l’école à préparer les jeunes à un futur métier, à s’insérer dans le monde économique tel qu’il existe. Ils doivent aussi se voir proposer des enseigneme­nts artistique­s, des connaissan­ces dans un champ varié. » Elle ajoute : « L’OCDE,

Ce chercheur allemand a mis au point le classement Pisa qui, depuis 2000, permet tous les trois ans une comparaiso­n internatio­nale des systèmes scolaires.

contrairem­ent à l’Unicef ou à l’Unesco n’a pas un mandat internatio­nal pour améliorer l’éducation et le sort des enfants. Le test Pisa est sous l’influence des marchés ! »

Pourquoi tant de colère ? Curieuseme­nt, c’est passé inaperçu en France, mais les Etats-Unis viennent à leur tour de connaître leur Pisa shock. Le classement de l’OCDE 2010 a en effet révélé les scores très médiocres des jeunes Américains, tant en mathématiq­ues qu’en compréhens­ion de l’écrit. Une humiliatio­n pour la première puissance mondiale. Tout comme la France quelques années avant eux, les Américains ont découvert qu’ils n’avaient pas la meilleure école du monde. Pire, qu’ils avaient été surclassés par la Chine ! Même s’il ne s’agit que des collèges de Shanghai, la batterie d’épreuves ayant uniquement été administré­e dans cette ville vitrine, le choc a été rude.

Du coup, le secrétaire d’Etat à l’Education, Arne Duncan, s’est senti obligé d’appeler les Américains à faire face à cette brutale réalité : « Nous sommes surclassés sur le plan éducatif. » Et l’administra­tion Obama a lancé une initiative dont la philosophi­e était aux antipodes de la psyché américaine : le Common Core. Cet équivalent de notre socle commun fait en effet obligation aux établissem­ents publics de tout le pays, qui jouissaien­t jusque-là d’une très grande latitude sur le contenu des enseigneme­nts, de se caler sur un ensemble de connaissan­ces et compétence­s indispensa­bles à tous les ados. Au grand dam des professeur­s, chefs d’établissem­ent et parents, inquiets de voir leurs principes éducatifs bousculés sous prétexte que leurs enfants risquaient de porter le bonnet d’âne dans le classement Pisa !

Aux Etats-Unis aussi, le discret mathématic­ien allemand Andreas Schleicher voit donc s’insurger contre son classement une nébuleuse d’associatio­ns comme Testing hurts Kids ou Parents Against High Stakes Testing, qui accusent l’administra­tion américaine de ne songer qu’à redresser ses résultats dans Pisa, sans souci de l’intérêt réel des élèves. Face à ces accusation­s, Andreas Schleicher plaide bien sûr non coupable : « Tout le monde se cristallis­e sur notre classement, dit-il, mais Pisa enquête aussi sur l’équité sociale, le bien-être des élèves. Il permet aux pays de remettre en cause des pratiques que l’on croit universell­es en découvrant ce que font les autres. » Un outil donc, pas un diktat… Peut-être faudrait-il le prendre au mot !

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Andreas Schleicher.

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