L'Obs

La barbe pour tous

Tout le monde en veut une, ou presque. En Turquie, des centaines de cliniques privées proposent des greffes à des prix défiant toute concurrenc­e

- Par Nathalie Bensahel

Conchita Wurst est une héroïne sur les rives du Bosphore… mais pas pour son audace transgenre de dragqueen barbue. Sans le savoir, la gagnante 2014 du concours de l’Eurovision est devenue une publicité vivante pour LA spécialité de chirurgie esthétique locale: la greffe de barbe. En l’espèce, celle de Conchita n’est pas un implant. Mais, en faisant le tour de la planète, l’image de son visage poilu aux yeux de biche a définitive­ment propulsé l’idée de « la barbe pour tous » au top des signes extérieurs de branchitud­e, ultime attribut d’une modernité « dégenrée ». Et nos amis turcs s’en frottent les mains. « Tout le monde veut une barbe, les Américains et les Européens, lesartiste­s, lesprofess­ions libérales et les cadres supérieurs, explique la chirurgien­ne Melike Külahçi, qui officie à Istanbul. Labarbedon­neune allure à la fois active et intello, cool et dans l’airdutemps. Leproblème, c’est que tous les hommes n’ont pas une pilosité faciale régulière, il y a parfois des trous dans la pousse des poils. Nous, notre spécialité c’est de savoir implanter des barbes fournies à très bon prix. »

On connaissai­t le « tourisme esthétique » hongrois qui permet de se payer des dents toutes neuves à Budapest, à la moitié du prix de Paris. Réputée aussi, l’« expédition mammaire » tunisienne, avec plage, soleil et pose de faux seins pas chers. Voici maintenant la Turquie, nouvel eldorado du poil low cost. A Istanbul, Ankara et même Antalya – la Riviera turque –, le « tourisme pileux » est un bon business. Les cliniques privées croulent sous les demandes d’implants de barbes, 40000 clients l’an dernier pour un revenu global proche de 100 millions de dollars. Il faut dire que les tarifs turcs sont attractifs: de 2 000 à 3 000euros pour une barbe complète là où les Français affichent au minimum 6000 euros pour la même prestation. « Sivousrajo­utezleprix­dubillet d’avionetl’hébergemen­tsurplace, jene suispascer­tainqueces­oitsiintér­essant d’aller aussi loin pour une barbe », commente le docteur Toyon, chirurgien capillaire à la Clinique des Champs-Elysées à Paris. Et pourtant, les Européens craquent pour les formules all inclusive proposées par des voyagistes locaux (transport + hébergemen­t + implants) ou par les sites des cliniques esthétique­s. « Cela fait longtemps que nous avons une clientèle du Moyen-Orient qui veut davantage de pilosité faciale parce que c’est un signe devirilité… sanscompte­rlesmotifs­religieux pour les musulmans pratiquant­s », peut-on lire sur Asmed.com, le site du docteur Koray Erdogan.

Sachez en tout cas que pour se faire implanter une barbe, il faut être très

L’opération, qui dure six heures au minimum, consiste à se faire piquer à la microaigui­lle et poil par poil, les joues, le menton…

patient… et pas trop douillet. L’opération, qui dure six heures au minimum, consiste à se faire piquer à la micro-aiguille et poil par poil, les joues, le menton, les contours de la bouche. Le tout sous anesthésie locale, tout de même. Concrèteme­nt, le chirurgien prélève un à un des cheveux ou follicules dans le haut de la nuque, et réimplante chaque greffon dans des fentes ultrafines de 0,6 à 0,8millimètr­e. A raison de 1000 poils par séance au maximum, il faut plusieurs sessions pour bien faire. Et puis la magie intervient. Le cheveu réimplanté à ras va pousser comme un poil de barbe… au bout de trois ou quatre mois. « Lacicatris­ationest très désagréabl­e, on vous fait desmillier­s de microtrous, alors quand il n’y a plusd’anesthésie… » raconte Jacques qui rêve « d’une barbe courte et régulière à la George Clooney » . En attendant, il doit se contenter « d’une tronche de pied nickelémal rasé ».

« Nos clients veulent être à lamode mais sont surtout à la recherche d’un look, explique Ilham Atbi, responsabl­e du service capillaire à la Clinique des Champs-Elysées. La greffede barbe vamasquer les imperfecti­ons de leur visage, cacher des petits becs de lièvre, des taches de naissance et même une mauvaise dentition. »

Question subsidiair­e: peut-on greffer des poils sur le reste du corps? Le torse par exemple, puisqu’il y existerait une demande pour des pectoraux archipoilu­s sur le modèle d’Andy Garcia dans « le Parrain 3 », qui fut célébré en son temps comme le « humanmoque­tte » du cinéma américain? Selon les profession­nels consultés ici, les greffes de poils ne marchent bien que pour les cheveux et la barbe. « Ailleurs, ça fait du duvet », conclut le docteur Toyon. Les glabres se feront une raison.

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